Je n’entretiens pas mon vignoble pour nourrir des chevreuils » soupire Thierry Bourragne, viticulteur sur la commune de Loussous-Débat (Gers). Apporteur à la cave coopérative de Saint-Mont (groupe Plaimont), Thierry Bourragne exploite 20 hectares de vignes (dont un tiers en AOC Saint-Mont et deux tiers en IGP Côtes de Gascogne) et estime qu’il a perdu l’équivalent d’un hectare de production de raisins après le passage de chevreuils (voir photos ci-dessous). Si les dégâts causés dans le vignoble par des chevreuils ne sont pas nouveau, ils ne sont pas ici épars, mais plus massifs.
Sur une vigne plantée il y a 4 ans avec du pinenc (le nom local du fer servadou), il montre les 30 ares de vignes broutées : « les chevreuils attaquent dès le stade 4-5 feuilles étalées, ils mangent ensuite les bourgeons secondaires et tertiaires » note le viticulteur. Résultat, les vignes repoussent en touffe buissonnante, rappelant les dégâts de gel. Généralement il ne reste plus de grappes, mangées, et s’il reste du raisin, l’ingénieur agronome estime qu’il y a trop peu de feuilles restantes pour espérer une photosynthèse suffisante pour atteindre la maturité. Si la vigne pousse vite ce début d’été et commence à gommer l’effet dents de scie entre pieds broutés et épargnés, les dégâts sur le bois de l’année restent marqués : « comment est-ce que je vais tailler l’an prochain ? » s’inquiète déjà Thierry Bourragne, craignant plus globalement pour l’avenir de ses parcelles touchées, toutes entourées de bois.
Mots durs
Une crainte qu’il a partagé avec la Dépêche, dont l’article publié a suscité de nombreux commentaires bien peu solidaires ou porteurs de solutions sur le site du quotidien local et Facebook. Extrait de ces sentences acerbes : « Ça y est après les ours, les loups, les sangliers, les renards, les pigeons... Voilà que nous sommes attaqués par les chevreuils ! Est-ce que ce n’est pas l’homme qui prendrait trop de place ? » écrit l’un. « La météo a été clémente pour la vigne il faut se trouver une [excuse] pour les assurances ou quoi ? » renchérit un autre. « Changez de métier les gars...🤣🤣🤣 » illustre un troisième. « Qui est naturel la vigne chimique ou les chevreuils ? Quand on n’aime pas la nature, et que le vin se vend mal il faut vite trouver des coupables » tranche un quatrième. « Il paraît qu'il y a une surproduction de vin français. Merci au chevreuil d'avoir récupérer l'espace » ajoute un cinquième. « Il faudrait liquider toute la faune/la nature pour produire un excès inutile d'alcool » réagit un sixième. « La nature n'appartient pas aux vignerons qui la polluent et [la] saccagent » juge un septième…
Face à cette succession d’attaques écrites, Thierry Bourragne fait part de son « choc » face à ce « déferlement de haine » qui l’affecte : « je constate juste les dégâts qui augmentent depuis deux ans. Il faut prendre conscience du problème : ça peut devenir important. Et les chevreuils, ce n’est pas que l’affaire des viticulteurs, c’est aussi une source d’accidents de la route. » Ayant répondu à un commentaire en ligne pour appeler un critique anonyme à le rencontrer, le viticulteur regrette le manque de connaissance de la réalité du terroir viticole et de sa biodiversité. Ainsi que ses enjeux économiques alors que la Gascogne manque de vin après gelées de 2021 et 2022, le mildiou en 2023… Et que s’ajoutent de nouveaux dégâts de gibiers.


« Les sangliers s’attaquent déjà aux grandes cultures, les lièvres aux tournesols, les corbeaux aux semis de maïs… Désormais, les chevreuils s’attaquent aux vignes. Je constate. Je pose juste la question pour alerter l’administration. Je ne suis pas chasseur, je n’y connais rien » précise Thierry Bourragne, qui ne voit pas de solutions à ces dégâts de chevreuil. Ayant tenté de mettre des cheveux dans ses vignes (« on dit que l’odeur humaine repousse les chevreuils, ça n’a pas été une réussite »), l’enseignant en agronomie ne croit pas dans le déploiement de dispositifs bruyants (« les animaux s’habituent »), dans l’usages de répulsifs (« ils ont un coût élevé »), dans l’installation de clôtures (en dur ce serait trop cher, en format électrique il faudrait plusieurs niveaux sans assurance de résister)… « Je ne sais pas ce qu’il faut faire » conclut l’œnologue, qui constate le manque de soutien exprimé par des personnes éloignées du vignoble. Mais ne serait-il pas contreproductif pour la biodiversité d’abandonner des vignes dans ces zones boisées pour la concentrer en plaine, en pure monoculture ?
Contactée, la section du Gers de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) indique à Vitisphere ne pas avoir de chiffrage récent de la population départementale de chevreuils. N’ayant pas eu de retours sur des dégâts significativement en hausse sur le vignoble, les experts de l’OFB notent que des chevreuils peuvent, individuellement, focaliser leur alimentation sur des parcelles de vignes (sans que l’ampleur soit comparable aux dégâts de sangliers sur grandes cultures). Il y aurait plus de 8 000 chevreuils abattus annuellement dans le Gers. Sollicités, le service environnement de la Direction Départementale des Territoires du Gers et la Fédération Départementale des Chasseurs du Gers n’ont pas donné suite à date de publication.
Début juin, les chevreuils n’ont pas fait dans le détail. Photos : Mélissa Burragne.
Cette fin juin, la végétation repart partiellement sur les pieds grignotés.