près 67 heures de débat et 5 599 amendements examinés de la séance du mercredi 15 à celle du vendredi 24 mai, le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture va être soumis aux votes de l’Assemblée Nationale ce mardi 28 mai à 16h30. Parmi les nombreuses absences regrettées dans ce texte par la filière vin, l’absence d’avancée concrète sur l’allégement fiscal de la transmission des vignobles aura animé les débats jusqu’au bout. Si un amendement programmatique adopté en commission des affaires économiques demande au gouvernement de se pencher sur le sujet dans le prochain Projet de Loi de Finances (PLF), le compte n’y est pas pour les élus du vignoble. Les amendements proposant d’augmenter de 100 à 150 000 € l’abattement en ligne directe pour les donations ou l’application du pacte Dutreil (une exonération de 75 % des droits de mutation sans plafond) ont été retoqués en vertu de l’article 40 de la Constitution, que ce soit en commission ou en séance publique.
Par exemple ce jeudi 23 mai. « La fiscalité, cela se traite dans le PLF ! » s’emporte ainsi le député Stéphane Travert (Manche, Renaissance), le président de la commission des affaires économiques clôturant de vifs échanges sur la transmission agricole, et notamment viticole. Comme l’amendement du député Jocelyn Dessigny (Aisne, Rassemblement National) qui propose de « permettre aux petits-enfants des exploitants agricoles, notamment des vignerons, de reprendre l’exploitation de leurs grands-parents lorsque les enfants des propriétaires ne souhaitent pas le faire » avec une exonération totale. « Ce n’est pas dans cet article d’orientation que nous fixerons les paramètres de la réforme fiscale que nous appelons également de nos vœux » réplique le député Pascal Lecamp (Vienne, Modem), le rapporteur pointant qu’« il faudra trouver les moyens de les atteindre lorsque nous rédigerons les dispositions fiscales prévues dans le PLF pour 2025. »


« Je l’affirme depuis le début de nos travaux : il faut mener une réforme fiscale globale, qui n’ait donc pas seulement trait à la transmission » réagit le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, pour qui la proposition d’exonération des petits-enfants n’est pas satisfaisante : « comment répondez-vous aux préoccupations des 50, 60 ou 70 % d’agriculteurs qui ne sont pas issus du monde agricole ? Nous savons très bien que l’essentiel des jeunes qui s’installeront demain n’hériteront pas des terres de leurs parents ou de leurs grands-parents, du moins dans la perspective de les exploiter. C’est pourquoi des outils de portage et d’accompagnement spécifiques sont nécessaires. » Alors que des déceptions persistent sur les innovations pour le portage financier du foncier (voir encadré), les parlementaires demandant des évolutions fiscales dès la loi d’orientation n’ont pas goûté ces fins de non-recevoir : « monsieur le ministre, vous ne pouvez pas sans arrêt renvoyer les enjeux que nous soulevons à l’examen du PLF – PLF que nous devrons de surcroît voter sous peine de nous voir appliquer l’article 49.3 » réplique le député champnois Jocelyn Dessigny, qui évoque le cas « d’un vigneron de Trélou-sur-Marne, dans l’Aisne, qui a hérité de la terre de ses parents, l’a exploitée, l’a fait fructifier, et a augmenté sa productivité de 60 %. Son fils ne souhaite pas reprendre son exploitation, au contraire de son petit-fils. Le fruit du travail de toute la vie de ce vigneron partira dans les caisses de l’État ! »
Tous les députés sont loin d’être favorables à ces propositions, la proposition de suppression de l’amendement programmatique ayant été porté par le député Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle, Parti Socialiste) qui « signifie son refus d’une réforme fiscale qui reviendrait à faire un chèque blanc, faute d’en avoir défini le périmètre et fixé les objectifs. Il n’y a aucune raison pour que l’État rase gratis ! » Rapporteur général de la commission des affaires économiques, le député Éric Girardin (Marne, Renaissance) répond que « si nous ne procédons pas aux assouplissements et à l’harmonisation permettant de fluidifier la transmission et de faciliter les nouvelles installations, nous n’atteindrons pas l’objectif de renouvellement des générations, fixé à 400 000 exploitations et 500 000 exploitants. Nous avons besoin d’une réforme de la fiscalité en agriculture. »
Soulignant que « la fiscalité sur la transmission est particulièrement lourde (nous avons le deuxième taux marginal d’imposition le plus élevé d’Europe sur les droits de mutation à titre gratuit, le quatrième sur les droits de mutation à titre onéreux, le cinquième sur les plus-values immobilières…) », le député appelle à « assouplir la fiscalité, notamment en amenant progressivement l’abattement sur le bail rural à long terme au niveau de l’exonération prévue par le pacte Dutreil – en application de la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique. Nous devons en outre harmoniser la fiscalité sur les différents modes d’exploitation agricole. »


Avec ces idées de réforme fiscale, « à la réflexion, il est clair que vous visez les très grosses exploitations, en particulier viticoles, dans certaines régions prestigieuses. Je reste donc dubitatif et nous devrons surveiller de très près la rédaction de cette réforme » annonce le député André Chassaigne (Puy-de-Dôme, Parti Communiste Français). « Le Gouvernement, et surtout pas le ministre de l’agriculture, n’a nullement l’intention d’engager une réforme fiscale qui viserait un autre objectif que la transmission des exploitations agricoles dans toute la France en favorisant un type d’exploitation plutôt qu’un autre. Je m’y opposerais si c’était le cas » réagit Marc Fesneau, ajoutant que « les mesures qui ont été annoncées pour favoriser la transmission des biens agricoles et pérenniser le modèle d’exploitation familiale et qui entreront en vigueur, si elles sont adoptées, une fois le projet de loi de finances voté, s’appliqueront dans l’ensemble du territoire et concerneront toutes les exploitations, quelle que soit leur taille. »
« Nous aurions dû adopter la création d’un groupement foncier agricole d’épargne » soupire dans un communiqué, Éric Girardin, qui regrette le rejet en commission de sa proposition de modification du fonctionnement des groupements fonciers agricoles d’investissement portés par le projet de loi. « Il s’agissait de créer un groupement de personnes physiques et de personnes morales, publiques et privées, dont l’objet unique aurait été d’acheter du foncier agricole, notamment auprès des dizaines de milliers de propriétaires exploitants qui seront amenés à vendre leurs terres dans les années qui viennent » explique le député de Champagne, qui réfute les accusations de financiarisation de l’agriculture ayant fait tomber son projet.
« Notre proposition visait à ce que les porteurs de projet d’installation puissent se lancer, transformer l’exploitation pour la rendre plus résiliente et plus compétitive, créer des emplois et de la valeur, puis, s’ils le souhaitent, racheter le foncier dans un second temps, une fois leur installation réussie » précise Éric Girardin, qui maintient que « nous avions un projet construit, qui apportait d’importante garanties et qui, loin des mots dont on l’affublait, visait à soutenir l’installation de nos futurs agriculteurs, pour sauvegarder notre modèle agricole familial à la française, en cohérence avec l’objectif de compter au moins 400 000 exploitations agricoles et 500 000 exploitants en France à l’horizon 2035. »