yndicalistes et parlementaires ont dû s’en faire une raison : les amendements fiscaux sont systématiquement écartés du projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA pour les intimes) et ce au titre de l’article 45 de la Constitution (voir encadré). Mais un amendement programmatique adopté en commission des affaires économiques compte bien contraindre l’exécutif à s’attaquer au sujet dès le prochain projet de loi de finances pour 2025 (PLF 2025).
Présenté par le rapporteur général de la PLOA, le député Éric Girardin (Renaissance, Marne), l’amendement n°3 402 stipule qu’« afin de garantir le renouvellement des générations d’exploitants agricoles et de pérenniser le modèle d’exploitation familiale, l’État se donne comme objectif de mener, en vue de son application dès 2025, une réforme de la fiscalité applicable [au] foncier agricole ». Soit un amendement programmatique engageant le gouvernement « à étudier dans le prochain projet de loi de finances des mesures fiscales pour libérer la transmission du foncier agricole loué par bail rural à long terme en contrepartie d’engagement de conservation ».


Rappelant que dans les dix prochaines années, « un agriculteur sur deux devra prendre sa retraite dont 45 % d’entre eux d’ici 2026 », Éric Girardin diagnostique que « l’évolution du prix moyen du foncier constaté sur tout le territoire, combiné au poids de la fiscalité inhérente à la transmission, ralentissent le processus de cession ». Après le passage à 500 000 euros de l’abattement sur le bail rural à long (depuis janvier 2023), l’élu de la majorité demande la mise en œuvre de son rapport rendu en avril 2022 sur la transmission du foncier viticole : étendre l’application du pacte du Dutreil à toutes les transmissions (soit une exonération de 75 % des droits de mutation sans plafond), augmenter de 100 à 150 000 € l’abattement en ligne directe pour les donations, harmoniser la fiscalité entre les types d’exploitations agricoles (individuelles ou sociétaires, notamment pour l’’imposition des plus-values d’actifs au jour de la transmission)… « Ces libéralités doivent permettre d’accélérer le processus des opérations de transmission émanant des cédants. Il s’agit donc en quelque sorte d’un investissement fiscal pour l’avenir » plaide Éric Girardin.
Ces arguments ont su convaincre le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, estimant en commission ce 3 mai que cet engagement « à réformer dès 2025 la fiscalité de la transmission […] fait écho aux annonces du Premier ministre [et à l’étude en cours de] l’Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) [qui] pourront utilement nourrir nos travaux préparatoires au projet de loi de finances pour 2025. J’émets donc un avis favorable à l’amendement. »
Les oppositions n’ont pas toutes été convaincues, comme le député Dominique Potier (Parti Socialiste, Meurthe-et-Moselle) qui refuse l’amendement car « son adoption donnerait un blanc-seing à la majorité et au gouvernement pour mener une réforme sans état des lieux ni étude d’impact préalable ». Pour Delphine Batho (Deux-Sèvres, les Écologistes) : « on ne vote pas une loi pour dire qu’on votera une loi. Le présent amendement révèle quel problème pose un projet de loi d’orientation ou de programmation qui ne prend pas en considération la question du foncier. Ce n’est pas sérieux. » Au contraire pour Henri Alfandari (Indre-et-Loire, Horizon), « l’amendement vise à ajouter un alinéa déclaratif, dépourvu de tout caractère contraignant ; seul le projet de loi de finances pourra prévoir des réformes – il n’y a pas de blanc-seing. En revanche, il a le mérite d’envisager une évolution de la fiscalité ; contrairement à ce que vous affirmez, il permet de prendre en considération la question du foncier et de la manière dont on le transmet. »


La commission ayant adopté cet amendement, il est intégré au PLOA dont l’examen a commencé à l’Assemblée Nationale ce mercredi 15 mai (la motion de rejet préalable ayant été écartée). Cette mesure est un acquis à préserver pour la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées (CNAOC). Dans un communiqué, Jérôme Bauer, le président de l’agora des vins AOC, y voit « une très bonne nouvelle »*, qui n’est qu’un premier pas à concrétiser : « nous avons désormais besoin de réponses claires. Nous attendons des engagements de la part du gouvernement et un calendrier de travail. Cela fait maintenant deux ans que le ministre nous renvoie tantôt au PLF, tantôt à la LOA sur les questions de fiscalité et de transmission. » Visiblement lassé par ces reports, Jérôme Bauer veut donc prendre au mot Marc Fesneau : « monsieur le ministre, en séance, vous venez de déclarer que le PLF25 contiendrait un volet sur la fiscalité des transmissions agricoles. Nous avons pris note de ce rendez-vous et nous y serons ! »
Une impatience s’appuyant sur un constat : « la fiscalité est identifiée comme le principal levier à court terme pour pérenniser les exploitations viticoles familiales et le moyen de concrétiser les objectifs poursuivis de renouvellement des générations et de conservation du tissu de PME dans la durée » explicite Jean-Marie Garde, le secrétaire général adjoint de la CNAOC. Les vins AOC disent donc chiche au gouvernement. Ou pour le dire plus élégamment : « c'est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble » (Michel de Montaigne).
* : Autre bonne nouvelle que la CNAOC souhaite voir inscrite dans le PLF25 : pérenniser de nouveau l’exonération des travailleurs saisonniers (le TO-DE). « Le gouvernement a annoncé souhaiter pérenniser le dispositif et augmenter son seuil à 1,5 SMIC. Nous saluons cette approche mais nous pensons qu’il faut aller plus loin » préconise Joël Forgeau, le vice-président de la CNAOC, « car si le TO-DE est pérennisé tous les 3 ans, ce n’est pas un acquis et nous sommes donc légitimement inquiets lorsqu’il s’agit de renouveler ce dispositif. Pourquoi ne pas le sanctuariser tout simplement ? »
Prévoyant que les amendements parlementaires doivent avoir lien direct ou indirect avec les éléments d’un texte législatif, l’article 45 de la Constitution reste soumis à l’appréciation des services de l’Assemblée Nationale. Pour le PLOA, « nous l’assumons depuis le début, le texte ne contient pas de dispositifs fiscaux – ce n’est pas l’objet d’une loi d’orientation » martèle en commission Marc Fesneau. « L’irrecevabilité dont tous les amendements fiscaux ont été frappés résulte d’une mauvaise application de l’article 45 de la Constitution » rétorque le député Charles de Courson (Marne, LIOT), pour qui « on peut déposer des amendements fiscaux sur n’importe quel texte, pourvu qu’il existe un lien ». Pour le président de la commission, Stéphane Travert (Renaissance, Manche), « les amendements fiscaux ont été déclarés irrecevables parce que nous examinons une loi d’orientation, non une loi de programmation ». L’ancien ministre de l’Agriculture ajoutant : « les accroches n’étaient pas là. D’autre part, le projet de loi de finances permettra de les discuter. »