as moins de 620 millions d’euros. « C’est le montant que nous avons voté en 2018 pour les projets d’irrigation sur vingt ans dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur », rappelle Jean-François Brun, adjoint au directeur du développement de la Société du Canal de Provence. Un budget qui doit permettre d’irriguer 1 000 à 1 500 hectares supplémentaires par an, principalement dans le Var et le Vaucluse, deux départements jusque-là un peu oubliés.
« Sur la commune d’Ollières, dans le Var, 300 hectares de vignes peuvent être irrigués grâce à la mise en service d’un nouveau réseau en 2023, détaille le responsable. Et depuis le printemps, l’extension du réseau de Seillons permet d’irriguer une cinquantaine d’autres hectares. Mais notre plus gros projet, cette année, c’est l’achèvement de réseau de Pierrefeu-du-Var. Les travaux, entamés juste après la vendange 2022, vont permettre d’irriguer 550 ha dès cet été. »
Robert Ghigo, propriétaire du Château Peigros, à Pierrefeu-du-Var, attendait avec impatience la fin de ces travaux. « C’est une question de survie du vignoble, assure-t-il. Chaque année, 10 % des pieds en moyenne succombent au stress hydrique. Sur une parcelle plantée il y a cinq ans sur les coteaux de Pierrefeu, la mortalité atteint 40 %. C’est énorme. L’accès à l’eau va nous permettre d’augmenter les rendements, c’est certain, mais aussi d’améliorer la qualité des raisins. Aujourd’hui, en AOP Côtes de Provence, le rendement autorisé s’élève à 55 hl/ha. Dans les plaines, on atteint 42-45 hl/ha. Mais dans les coteaux, on atteint difficilement 30 à 35 hl/ha à cause du stress hydrique. »
Grâce aux travaux qui viennent de s’achever, Robert Ghigo va pouvoir irriguer une dizaine d’hectares en plaine, sur les trente que compte son domaine certifié AB. « Une deuxième phase devrait commencer d’ici peu visant à amener l’eau dans les coteaux, indique-t-il. On espère que ce sera terminé d’ici à 2025. »
Le viticulteur précise que les travaux pour amener l’eau dans la plaine ont coûté 10 millions d’euros. « Pour les vignerons, la participation est de 4 000 €/ha, auxquels s’ajoutent les coûts d’installation du goutte-à-goutte dans nos parcelles. Au total, cela représente un investissement de 50 000 € pour mes 10 hectares. » Le vigneron prévoit de déployer le goutte-à-goutte l’hiver prochain, au moment de la taille. « On attend d’avoir l’eau, courant juin ou début juillet, pour lancer les demandes d’autorisation des installations auprès du syndicat des Côtes de Provence et de l’INAO, rapporte-t-il. Si tout va bien, l’année prochaine, nous pourrons irriguer. »
À Saint-Pargoire, dans la vallée de l’Hérault, Pierre Rossignol bénéficie de l’allongement du canal de Gignac, une opération menée en deux temps. « Au nord de Saint-Pargoire, j’ai bénéficié de l’extension du réseau des Hermes, achevée en juillet 2023, explique-t-il. Au sud, une autre extension, celle de Virins, qui devrait être mise en service à la mi-juin, va me permettre d’irriguer une autre partie du domaine. »
Ainsi, en quelques années, 30 hectares de ses 40 de vignes sont devenus irrigables. « En 2023, la sécheresse a entraîné une perte de récolte de 30 % en moyenne, affirme le vigneron. Même sur la partie nord de mon domaine, car l’irrigation n’est entrée en service que début juillet. C’était trop tard pour sauver la récolte. Un tel projet à un coût : 2 000 €/ha afin d’être raccordés au réseau et autant afin d’installer le goutte-à-goutte. Pour nous, c’est un investissement très important, même avec l’aide de 1 100 €/ha de FranceAgriMer. »
Pierre Rossignol prévoit donc d’équiper progressivement ses parcelles. « En privilégiant les jeunes vignes et les plantiers. L’année dernière, on a équipé 6 hectares sur le secteur nord et cet hiver, on équipera 8 hectares sur le secteur sud. On n’équipe aucune des parcelles que l’on prévoit d’arracher dans un délai de cinq ans », détaille-t-il.
À une vingtaine de kilomètres de là, toujours dans l’Hérault, Sébastien Vaissade, vigneron à Liausson et président de l’ASA locale, contemple avec enthousiasme et soulagement les derniers coups de pelle du projet d’irrigation collective de 96 ha de vignes sur sa commune et à Clermont-l’Hérault. « Cela fait sept ans que le projet a été lancé, rappelle-t-il. Et après six ans de procédures administratives et seulement deux mois de travaux, la modernisation du réseau est enfin terminée. »
Ici, l’irrigation était en service depuis 2019. « Un réseau était déjà en place, détaille le viticulteur. Mais les pompages étaient individuels. Les travaux qui viennent de s’achever permettent de remplacer onze pompages par une seule station pour treize exploitations. Fini les allers-retours chacun dans notre coin pour aller lancer l’irrigation. La nouvelle station de pompage permet de gérer à distance l’irrigation en fonction de l’humidité des sols, des besoins et des objectifs de rendement de chacun. C’est plus moderne, beaucoup moins bruyant et nous gagnons un temps considérable. »
Depuis cinq ans qu’il irrigue ses parcelles, Sébastien Vaissade constate une véritable amélioration de la qualité de sa vendange. « On rentre des moûts à 14° au lieu de 12,5°, et cela se ressent sur le profil aromatique des vins, assure-t-il. Les extractions sont plus faciles, les vins plus souples, moins tanniques et correspondent davantage aux attentes des consommateurs. »
Bien d’autres projets avancent. À La Tour-d’Aigues et à Mirabeau, dans le Vaucluse, 800 hectares devraient bénéficier de l’eau du canal de Provence d’ici à la fin de l’année. À quelques kilomètres de là, vers l’est, un autre projet débute à Beaumont-de-Pertuis. « D’ici quatre ans, 600 hectares de terres agricoles et viticoles supplémentaires devraient être desservis par l’eau », affirme Jean-François Brun. La lutte contre le stress hydrique est bel et bien enclenchée dans ces régions méditerranéennes. Reste à savoir si cela sera suffisant pour la sauvegarde des vignobles.
« Un projet d’irrigation peut coûter plusieurs millions d’euros, alors que les ASA qui le portent ont un budget parfois inférieur à 100 000 €/an, rappelle André Bernard, président de l’association des irrigants des régions méditerranéennes françaises (AIRMF) et de l’ASA du canal de Carpentras. Alors quand les subventions tardent à être versées, elles n’ont pas d’autres choix que de solliciter un crédit relais. Dans les ASA de taille moyenne, comme celle de Carpentras, l’avance de trésorerie n’est pas un problème. Mais pour les structures plus petites comme l’ASA du Vaucluse, c’est un vrai défi. Un projet d’extension du réseau comme celui de Violès, porté par l’ASA du Vaucluse, s’élève à 4,5 millions d’euros, et est financé à 70 % par le FEADER, le fonds d’aide européen. Mais le FEADER refuse d’avancer les fonds. Il ne les verse qu’à la fin des travaux et l’ASA est obligé de souscrire un emprunt, ce qui entraîne un surcoût du projet et une hausse de la cotisation des vignerons à l’ASA. » André Bernard précise que ces problèmes concernent surtout les extensions de réseaux. Dans les projets de modernisation, l’Agence de l’eau, qui en finance une partie, peut accorder une avance de fonds de 30 à 40 % du montant total des travaux. Et éviter ainsi aux ASA de supporter des crédits relais.