athilde Eysseric, 30 ans, à la tête de 40 ha de vignes avec son père, à Tulette dans la Drôme, l’avoue : « Il manquera entre 50 et 70 000 € pour équilibrer nos comptes à la fin 2024. On va puiser dans nos réserves. Pour 2025, ce sera très compliqué. Je m’accroche mais je ne sais pas ce que je vais devenir. »
C’est en 2018 que Mathilde Eysseric s’installe sur la propriété familiale qui apporte sa récolte à la Cave Costebelle, la coopérative de Tulette. Pour la première fois cette année, elle serre la vis sur ses frais de culture. C’est ainsi qu’elle passe à une fertilisation 100 % chimique. Jusqu’alors, elle utilisait engrais organiques et organo-minéraux. « Les engrais chimiques nous coûtent 150 €/ha. C’est quatre fois moins cher que les organiques », indique-t-elle. De même, pour limiter le travail du sol, elle réintroduit une application d’herbicides sur le rang qui sera suivie de deux passages d’intercep, alors qu’elle en faisait jusqu’à six. Un permanent et un saisonnier travaillent sur la propriété. Il pourrait y avoir des coupes sombres.
Arrêt aussi des investissements en matériel, même si le tracteur a un besoin urgent d’être remplacé. « Nous reportons tous les investissements », tranche l’exploitante.
Dans le village voisin de Bouchet, Wilson Feschet, à la tête de 20 ha, se prépare lui aussi à faire des économies. Sur 600 hl du millésime 2023 qu’il dédie au négoce, 300 hl n’ont pas encore trouvé preneur. Alors, ce viticulteur de 28 ans, serre les boulons. Il y a cinq ans, il réalisait six passages de tracteurs pour entretenir les sols. Cette année, trois devront faire l’affaire. « Cela représente une économie de 50 €/ha de gasoil et 150 €/ha si l’on compte l’usure du matériel », précise-t-il tout en reconnaissant que moins de passages signifie plus d’herbe et plus de stress hydrique pour la vigne. Économie d’engrais aussi : seules les jeunes vignes, un tiers des 20 ha, recevront un engrais organo-minéral cette année. Du côté des traitements phytos, quatre passages devront suffire, au risque de perdre de la récolte. « Financièrement, on ne pourra pas aller plus loin », explique Wilson Feschet. Seul le poste main-d’œuvre est épargné. Wilson continue d’employer l’ouvrier qui intervient 8 mois dans l’année.
Président des jeunes agriculteurs du canton de Tulette, il encourage ses collègues à la diversification. Avec 8 ha dédiés à la culture de la grenade, des prestations pour un propriétaire de 20 ha et l’apport de 600 hl à la coop de Costebelle, il amortit les mauvais coups.
À Meynes dans le Gard, Fanette Fessy, gérante du domaine Galus, 15 ha en Costières de Nîmes, en bio depuis 2012, surveille toutes ses dépenses. Pas d’engrais ; des frais de phytos a minima. Coté personnel, le prestataire qui taillait tout le domaine, n’est intervenu que sur 3 ha cet hiver. L’époux de Fanette a taillé le reste. La viticultrice réduit aussi ses mises en bouteilles au strict nécessaire. « Au lieu de tirer 20 000 cols, on n’en fait que 10 000. On attend de les avoir vendus, avant de faire revenir l’embouteilleur. La situation est difficile », lâche-t-elle. Heureusement, elle a obtenu le gel du remboursement de ses annuités, soit 30 000 € qu’elle n’aura pas à débourser cette année.
À Sainte-Terre, en Gironde, Nathalie Escaiche, 55 ans, qui gère les vignobles Claude Escaiche, 17,5 ha en AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur est formelle : « Si on veut une bonne récolte on ne peut pas mégoter sur les phytos. En 2023, cela nous a coûté 8 900 € TTC », déclare-t-elle. En revanche depuis quelques années déjà, ses vignes ne reçoivent plus d’engrais. Un choix : le coût est trop élevé. Mais pour cette campagne, 4 ha de vieilles vignes vont avoir des engrais organiques. « Elles ont vraiment besoin d’être nourries. On ne peut pas y échapper », souffle Nathalie Escaiche. Une dépense de 4 000 €.
La grêle a anéanti 50 % de sa récolte 2023. « Je ne peux faire aucun investissement », déplore-t-elle. Depuis 2018, elle vend 7,5 ha sur pied en vendanges fraîches. Pour les 10 ha restants, 85 % partent en vrac. Un marché compliqué. Côté personnel, malgré ses 89 ans son père est toujours actif à la vigne comme son ouvrier viticole, la soixantaine. Pas question de se passer d’eux.
À Sainte-Eulalie, toujours en Gironde, les frais de culture ne vont pas peser lourd pour Jannick Ballion, propriétaire du château Les Bédats-Bois Montet, en AOC Bordeaux supérieur et Côtes de Bordeaux : 600 € pour les phytos et moins de 1 000 € pour les engrais organiques. Ce viticulteur a pris des décisions radicales face à une situation catastrophique : il a licencié ses salariés en mai dernier et arraché 16 ha sur les 17,5 ha que comptait sa propriété.
« Je n’ai aucun regret. Je vendais 90 % de ma récolte en vrac. Il fallait arrêter l’hémorragie, me débarrasser du vrac », explique celui qui est aussi chef de projet dans l’industrie de l’eau. Désormais, il ne lui reste que de quoi produire 6 000 cols qu’il vendra aux particuliers.
À Plassac, Christian Gourgourio à la tête du domaine de la Métairie de Monconseil, 10 ha, AOC Bourg et Blaye, veille au grain. La propriété qu’il a rachetée en 2017, en biodynamie depuis 2021, écoule 80 % en vrac. Or ses récoltes 2022 et 2023 sont toujours dans le chai. Autant dire qu’il fait très attention : « J’investis a minima ». Il n’utilise pas d’engrais. Pour les produits phytos, il n’achète que la quantité nécessaire, soit 3 kg de cuivre pour lutter contre le mildiou l’an dernier. « Un coût de 300 €/ha. On ne peut pas faire moins ». Pas question de se séparer de la salariée. « Je n’ai pas le choix. Elle est à la vigne et au chai. » Tandis que lui est sur les routes à essayer de développer le marché bouteille. Pour l’heure, il n’est que de 15 000 cols.