a logique est assez simple : pour devenir véritablement « efficiente » en termes économiques et écologiques, la filière du réemploi doit pouvoir compter sur des emballages standards. Cela permettrait, par exemple, qu’une bouteille remplie dans le Beaujolais puisse être lavée et réutilisée pour un vin de Loire, etc. A la clé, une « massification » et une utilisation optimale des machines de lavage, mais aussi du transport. Dans le viseur aussi : pouvoir atteindre les 10% d’emballages réemployés visés par la loi AGEC de 2020.
Le problème : la bouteille de vin standard n’existe pas. Et la mise au point de son cahier des charges standard se révèle aussi complexe que « touchy » (sic). « Plusieurs logiques s’opposent », résume diplomatiquement Laurine Grandet, en charge du dossier pour Citéo.
Option n°1 : piocher dans le catalogue de bouteilles déjà sur le marché, en désignant celles qui sont compatibles avec le réemploi. C’est la solution choisie par les opérateurs du Réseau Vrac & Réemploi. C’est, de fait, la seule solution possible aujourd’hui et « ça fonctionne très bien, depuis plusieurs années », précise Célia Rennesson. Les multiples opérateurs – laveurs, transporteurs, producteurs, magasins – pratiquant déjà le réemploi en attestent.
Petite subtilité : les bouteilles de cette « gamme réemployable » ne sont pas certifiées comme telles par les verriers, dans leurs fiches techniques. « Ils n’ont pas fait les tests pour les bouteilles de vin, comme ils le font pour d’autres types de contenants, parce qu’ils n’avaient aucune raison de le faire, sûrement car il n’y avait pas de marché ! C’est pourquoi nos opérateurs l’ont fait, avec plusieurs critères, usure, résistance aux chocs, au lavage... Et opérationnellement, ça fonctionne déjà.»
Ca fonctionne… mais pas à l’échelle nationale, chaque opérateur régional ayant plus ou moins « son » standard. Autre point faible : le poids moyen des bouteilles de cette gamme, environ 550g. Trop pour tous ceux qui prônent plutôt l’allègement de la bouteille, moins de 400g pour les plus légères. « Une fausse excuse, rétorque Célia Rennesson. Le principal impact environnemental se joue à la fabrication de la bouteille. Une bouteille réutilisée plusieurs dizaines de fois aura toujours moins d’impact qu’une bouteille à usage unique, que l’on recycle et refond, quels que soient leurs poids. » Et même dès la 2e utilisation dans la plupart des cas, a calculé l’ADEME.
Option n°2 : éditer un tout nouveau modèle de bouteille, un moule en « open-source » dont pourront s’emparer les verriers. C’est l’option choisie par l’éco-organisme Citéo et sa filiale Adelphe, dans le cadre du projet ReUse. Une façon de ne pas favoriser un fabricant plutôt qu’un autre, mais aussi d’aboutir à une bouteille la plus performante possible, et donc plus légère.
« Evidemment, le choix de cette bouteille standard aura des répercussions. Rien qu’1mm de différence sur un goulot, ça engendre un changement notable pour des lignes de lavage ou d’embouteillage », évoque Celia Renesson. D’où, on le devine, certaines « frictions » entre tout ce petit monde, même si, officiellement, tous œuvrent de concert pour faire avancer le réemploi. « Citeo a bien pris en main le sujet des standards des emballages réemployables, concède Célia Renesson. D’ailleurs, nous participons au projet ReUse. Mais ces standards auraient dû être définis au plus tard le 1er janvier 2022, selon l’article 65 de la loi AGEC. On peut quand même leur reprocher d’avoir tardé à s’y mettre. Il aurait fallu lancer ça il y a trois ans. »
Dans tous les cas, la bouteille standard réemployable idéale, (une type Bordeaux et une autre Bourgogne de 75cl) assez légère et libre de droit ne devrait pas arriver sur le marché avant 2025, et bien après d’autres types d’emballages.
Donc aujourd’hui, les producteurs qui voudraient tester le réemploi peuvent utiliser le catalogue du réseau Vrac & Réemploi, qui a le mérite d’exister. « Ça vaut le coup au moins de tester le réemploi sur une partie de sa production, le marché local par exemple, pour avoir un vrai feed-back et se tenir prêts pour 2027 », avance Mehdi Besbes, d’Adelphe.
Interrogé, le président des Vignerons Indépendants, Jean-Marie Fabre, reste hostile à toute forme d’obligation quant au réemploi des bouteilles de vin. « Ce qui semble intellectuellement avoir de la pertinence se heurte à notre modèle », justifie-t-il. L’objectif des 10% d’emballages réemployés d’ici 2027 de la loi AGEC n’est pas dans les projets portés par l’association.
Les principaux freins que font remonter les vignerons : le fait que le plus souvent, ils ignorent au moment de l’embouteillage la destination finale des bouteilles. « A quoi ça sert si la bouteille finit au Japon ? », interroge le président (40% des vins des adhérents sont vendus à l’export). Il ajoute que « les bouteilles les plus vendues en Occitanie aujourd’hui pèsent entre 350 et 400g seulement », une bouteille réemployable plus lourde apparaît donc comme un recul. Deuxième obstacle : les enjeux de différenciation marketing face à la bouteille « standard ». « Une partie du plaisir passe aussi par le ressenti de l’habillage du vin », plaide le vigneron. Dans un sondage réalisé en octobre 2023, seulement 3 à 4% des adhérents se sont dit intéressés par le réemploi.