Je me suis installé depuis trois ans à Juliénas avec beaucoup de vente au négoce et je suis extrêmement inquiet de la baisse des cours. Je suis prêt à m'investir à 100 % dans mon exploitation, mais là, je me demande si ça vaut la peine de continuer. » Le jeune qui vient de s'exprimer est applaudi par les vignerons, venus nombreux ce 8 février pour assister à l'AG d'Interbeaujolais, à Corcelles. Un autre jeune intervient : « J'ai calculé mon coût de revient : 255 €/hl sans me sortir de salaire. On me propose 270 €/hl en beaujolais villages et 250 € en beaujolais. Comment je fais ? » Nouveaux applaudissements.
Le micro passe dans les mains d'Aloïs, 21 ans, installé en cave coopérative dans un cadre familial. « Si je n'avais pas eu si peu d'investissements à faire et si mon ère ne m'aidait pas comme aide familial, je ne m'en sortirais pas, témoigne-t-il. Il faut faire quelque chose, ensemble, et vite. »
« Le marché démarre seulement, il faut attendre », temporise le négociant Philippe Bardet, président d'InterBeaujolais. Quelques minutes plus tôt, il rappelait sa volonté de faire « entrer le beaujolais dans la cour des grands ». « Le beaujolais-bashing », c'est FI-NI », a-t-il martelé à la tribune, revendiquant le positionnement de vin « de terroir » et « à forte personnalité ». Et pas seulement pour les crus : « Nous devons casser les codes de la hiérarchie : il y a de grands vins de terroir et des cuvées d'exception dans chacune de nos douze appellations », a-t-il soutenu. « Est-ce qu'on est prêts à changer ? Est-ce qu'on a envie d'imposer notre vraie identité ? Est-ce qu'on est prêts à élever nos vins ? A les stocker pour mettre en marché des millésimes prêts à boire ? »
Dans l'assemblée, on lui renvoie la question en miroir : « Est-ce que le négoce est toujours prêt à accompagner la montée en gamme et la construction de la valeur ? »
Un négociant se veut rassurant : « Il y a toujours des fluctuations de quelques euros, mais oui, je m'inscris pleinement dans cette stratégie. » Ce à quoi Jean-PIerre Rivière, président de l'Organisation de Défense et de Gestion Beaujolais-Beaujolais Villages (ODG Beaujolais-Beaujolais Villages), rétorque : « Ces quelques euros ne vous manquent peut-être pas, mais ils manquent dans nos exploitations. Et attention, les jeunes d'aujourd'hui n'accepteront pas ce que notre génération a enduré. »
Cette détente des cours, après deux années de forte hausse, fait suite à une récolte proche de la moyenne quinquennale – sans être pléthorique- qui a permis de renflouer des stocks au plus bas. « Le négoce est tenté de jouer là-dessus, c'est humain, d'autant que l'on est confrontés à la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, commente Daniel Bulliat, vigneron et vice-président de l'interprofession. Même s'il y a un flottement, je ne suis pas inquiet sur le long terme. Mais les jeunes ont besoin d'être rassurés. Personne ne veut revivre la crise qu'a connu le Beaujolais. Et il y a en ce moment beaucoup d'investissements pour renouveler et restructurer le vignoble, qu'on a laissé vieillir pendant trop longtemps. Mais pour investir, il faut une visibilité sur les prix. »
« Il faut être patient, ça va repartir, assure Philippe Bardet. Un négociant n'achète jamais de stocks s'il n'a pas les marchés en face. » Dans son discours, quelques minutes plus tôt, il reconnaissait que la pénurie de vins des dernières années avait conduit à « baisser la garde dans les efforts commerciaux ». Et d'encourager : « il faut reprendre le chemin vers les consommateurs, qui ont besoin et envie de nous voir, de nous entendre et de goûter nos vins ».