Stéphane Héraud : La première chose très positive, c’est la cohésion entre agriculteurs qui est apparue. Chacun vivait la crise depuis des années dans son coin. La misère du monde agricole est incroyable, ça ne tiendra plus, et on n’installe plus personne. La deuxième, c’est le retour très positif par la population qui a une très bonne image de nous. Sur les dernières annonces, il y a celles nationales qui vont se mettre en œuvre rapidement au niveau des préfets (avec des réunions départementales organisées ce début de semaine) et il y a toutes les mesures spécifiques viticoles qui sont en grande partie liées à l’OCM (Organisation Commune de Marché vitivinicole) et à l’Europe qui vont demander plus de temps.
Sur la partie France, c’est le fonds d’urgence qui va être mis en place très rapidement, avec les mesures pertes de récolte (mildiou, sécheresse… sur 20 % de la perte de récolte 2023 par rapport à la meilleure récolte 2018-2022, de 5 à 20 000 € normalement avec les minimis) et prise en charge des intérêts bancaires avec le décalage d’un an de toutes les annuités de toutes les exploitations viticoles (ça coince encore pour le négoce de structure viticole et les caves coops, les coopérateurs n’étant aidés que sur les investissements d’amont, pas ceux de sa coopérative dans la vinification).
Pour les mesures plus structurelles, l’arrachage temporaire/la restructuration différée, le système permettra de déposer un dossier de restructuration pour arracher et reconvertir un vignoble, ce qui existe déjà, sauf que je touche la prime à l’arrachage dès maintenant, et non à replantation, que cette prime est augmentée à 2 500 €/ha, et qu’il y a prolongation de 5 à 8 ans pour la replantation. Si je ne replante pas, en le décidant dès maintenant, je touche une prime complémentaire de 1 500 €/ha grâce aux 150 millions € débloqués par l’État pour l’arrachage définitif. Et je perds mes droits de plantation. C’est la nouveauté annoncée vendredi par le ministre de l’Agriculture. Aujourd’hui, la négociation avec la Commission Européenne porte sur ces éléments, dont l’obligation de diversification et le sujet de la fin d’activité (pour ceux en fin de carrière). Mais comme la crise est européenne (ça bouge partout), la Commission va faire bouger des lignes beaucoup plus vite qu’aucun représentant de la filière ne l’a jamais vu. Nous sommes assez confiants sur la mise en place rapide de toutes ces mesures.
Quand on parle de 100 000 ha quittant la production, ça rebat totalement les cartes du vignoble français…
Sur 750 000 ha, c’est énorme.
On entend certaines zones viticoles, de Bergerac aux Corbières, qui seraient vidées de leurs vignobles à 5 000 €/ha de primes d’arrachage et où l'on craint des déserts…
Il est sûr que cela va cogner fort sur certaines zones. Arracher 100 000 ha de vigne, ça va changer les paysages. Ce n’est pas de la rigolade.
Avec ces annonces, peut-on devenir modérément optimiste pour l’avenir à court-terme de la filière vin, notamment à Bordeaux ?
Les aides peuvent avoir un effet, mais s’il n’y pas de reprise de la commercialisation et de la valorisation, ça ne tiendra pas. Nous sommes dans un moment crucial : les mesures de crise sont à peu près claires et Bordeaux revient en force. Pour le salon Vinexpo Paris (12-14 février), il va y avoir une nouvelle communication comme jamais alors que nous avons des volumes de qualité correspondant à nos marchés. Nous avons une production 2023 de qualité, inférieure à ce que l’on vend, ce qui reste de 2022 est très bon et ce qui restait de 2021 a été nettoyé par la distillation. Maintenant, il faut positiver et arrêter de parler de la crise.
Le plan de filière doit piloter cette transition : après le traitement de choc, assurer la rémission.
Nous le présenterons ce mardi au ministre de l’Agriculture, avec toutes les mesures réfléchies depuis un an : gestion du potentiel, mesures commerciales… Sur les 650 à 700 000 ha qui restent, il ne faut pas que dans un an on se repose la question d’en sortir 100 000 de plus si l’on ne fait rien.
Avec votre casquette de président de l’union coopérative Tutiac, comment appréhendez-vous la réduction des surfaces de vos adhérents par rapport au dimensionnement de vos outils de production et de commercialisation ?
Pour Tutiac en particulier, aujourd’hui on fait 5 400 ha. On va avoir 400 ha d’arrachage sanitaire, qui ne produisaient pas 20 000 hl. Si aujourd’hui j’accepte tous les adhérents qui veulent rentrer chez moi, je fais plus que compenser les potentiels 10 000 hl perdus. Ce n’est pas un sujet. Il y aura peut-être des caves coopératives en France qui pourraient avoir un problème complémentaire d’une telle perte de surfaces que leur diviseur de coût n’est plus là. En Gironde, les caves coop qui auront ce problème en ont beaucoup d’autres. Ce n’est pas un déclencheur.