lors que la mobilisation des agriculteurs se poursuit en France et dans d’autres pays européens, les viticulteurs espagnols se sont peu fait entendre jusqu’à présent. Il n’empêche qu’ils sont régulièrement pointés du doigt en France pour des pratiques jugées déloyales. « Nous sommes régis par des règles communes au sein de l’Union européenne puisqu’elle sont fixées par Bruxelles », rappelle Rafael del Rey. « Je ne vois donc pas comment les producteurs espagnols pourraient, par exemple, utiliser des produits qui ne seraient pas homologués ailleurs dans l’UE. Il faut bien s’entendre sur ce que l’on veut dire par « l’étranger ». Au final, il y a toujours le risque que certains producteurs puissent vendre des produits moins chers que les vôtres, mais peut-on défendre l’idée de ne pas être compétitif ? ».


Malgré des rendements plutôt faibles par rapport à d’autres pays producteurs – contrebalancés certes en partie par l’étendue du vignoble – la filière vitivinicole espagnole reste, elle, extrêmement compétitive. La question est donc de savoir comment, en appliquant les mêmes règles, les professionnels espagnols parviennent à proposer des vins globalement peu chers, notamment sur le marché du vrac. « Les coûts au sein du secteur sont relativement bas », explique le directeur de l’OEMV. « C’est quelque chose que nous devons expliquer à nos collègues français. Dans certaines régions d’Espagne, cultiver la vigne coûte très peu parce que le nombre de traitements est faible et que globalement, les conditions de production nécessitent peu d’argent. Sans doute aussi que les taxes et charges sont plus basses qu’ailleurs, mais surtout, il y a une concurrence acharnée au niveau local. Les entreprises se font concurrence entre elles. J’ajouterai par ailleurs, qu’une bonne connaissance des marchés y joue aussi ». Citons également, la structure de la filière, composée encore de maints petits producteurs de raisins livrant à des caves souvent de grande envergure qui permettent des économies d’échelle, et l’accès important à des aides de restructuration qui ont amélioré la compétitivité du secteur.
L’impact de la hausse des coûts sur les matières sèches, le fret et l’énergie n’a pas épargné l’Espagne et le secteur a été contraint de répercuter cette hausse – du moins partiellement – sur le prix des produits. Un phénomène qui, selon l’analyste, est à l’origine d’une baisse de la consommation de vin en Espagne. « Le marché national n’a pas récupéré aussi vite que prévu, notamment dans le secteur CHR. La consommation s’est désormais stabilisée autour de 9,7 Mhl, contre 11 Mhl avant la pandémie, malgré le fait que le tourisme a fortement rebondi en 2023 ». S’il réfute l’idée que les producteurs espagnols vendent leurs produits en-dessous du coût de revient – « la loi l’interdit » - Rafael del Rey reconnaît toutefois que le calcul de ce coût de revient peut poser problème : « Comment le calcule-t-on, est-ce qu’on prend on compte tous les éléments et à quel point connaît-on tous ses coûts ? Comment chiffre-t-on tout le temps qu’on passe à sa vigne par exemple ? Le fait est que nos coûts sont très bas mais je pense qu’on pourrait mieux valoriser nos vins »
2023 aurait très bien pu être l’année de la revalorisation pour la filière espagnole. Avec une production actuellement estimée à 35 Mhl, et de faibles récoltes dans d’autres pays producteurs, les professionnels pouvaient espérer une augmentation de leurs prix. D’autant plus que les stocks étaient en baisse de 7 Mhl fin novembre par rapport à l’année précédente. « L’avantage d’une faible récolte, c’est qu’il y a un meilleur équilibre sur le marché », note l’économiste. « Mais un meilleur équilibre n’entraîne pas nécessairement des prix plus élevés. Il faut peut-être prendre la situation à l’envers et se demander, comment les prix se seraient-ils comportés si nous avions connu une récolte moyenne ? Ils auraient régressé de manière considérable ». Dans la réalité, les prix sont globalement stables. Si ceux des vins blancs en vrac s’inscrivent en légère hausse, ceux des rouges sont plus difficiles à maintenir. « Certes la rentabilité du secteur, mise à mal par la hausse des coûts, représente une préoccupation à court terme, mais à plus long terme, les Espagnols s’inquiètent surtout de la baisse de la consommation mondiale ». Les exportations, en recul de 3,3% en volume sur douze mois jusqu’à fin novembre, illustrent bien cette tendance : « Nous avons été particulièrement touchés par la baisse des exportations en vrac en direction de la France, l’Italie et l’Allemagne. Les expéditions conditionnées ont été affectées directement par la régression de la consommation mondiale ».
Faut-il en déduire pour autant qu’une production de 35 Mhl représente la nouvelle norme en Espagne et que le potentiel de production doit être réduit en conséquence ? « Non. Les statistiques montrent que nous avons la capacité de commercialiser environ 40 Mhl de vins – dans une fourchette de 38 à 42 Mhl – à des prix de mieux en mieux valorisés, ce qui constitue notre objectif », insiste Rafael del Rey. « Nous ne pouvons pas baser notre rentabilité sur une production importante. Ce n’est pas la bonne solution, surtout au vu de la situation des marchés dans le monde aujourd’hui ».