l ne faut pas tout attendre d’un porte-greffe. «Le comportement des vignes greffées pourrait être davantage influencé par leur environnement (climat, sol), le greffon et les pratiques culturales que par les porte-greffes eux-mêmes», indique Étienne Goulet, directeur de l’IFV Val de Loire-Centre, après avoir étudié trois années consécutives une parcelle de gamay âgée de 30 ans et greffée sur vingt porte-greffes différents.
Poids des bois de taille et des grappes, richesse en sucres, acidité totale et pH des moûts à la récolte : de 2020 à 2022, Étienne Goulet et ses collègues Étienne Moreau et Virginie Grondain ont suivi quantité de paramètres sur cette parcelle plantée en 1991 à Pouillé (Loir-et-Cher). La parcelle qu’ils ont étudiée est conduite en AOC Touraine. Elle repose sur un sol d’argile à silex, avec une réserve d’eau utile de 120mm sans calcaire actif ni de risque de chlorose.
«Quel que soit le porte-greffe, c’est avant tout le millésime qui détermine le comportement de cette parcelle», souligne Étienne Goulet avec Étienne Moreau et Virginie Grondain. Le poids des bois de taille en2020 et2022, années sèches, est ainsi bien moins élevé qu’en 2021, année humide, tous porte-greffes confondus s’établissant à 200g dans le premier cas contre 400g dans le second. Quant à la richesse en sucres, elle est logiquement inférieure, pour tous les porte-greffes, en année humide par rapport à une année sèche.
Néanmoins, les chercheurs de l’IFV ont observé des différences de comportement selon les porte-greffes, certes faibles mais réelles, dont certaines surprenantes. Parmi les surprises, des porte-greffes réputés vigoureux comme le RSB 1, le 110 R et le 140 Ru ne le sont pas plus que les autres sur la parcelle étudiée. Et, contrairement à son image, le 420 A MGt a conféré une bonne vigueur au gamay lors des trois années étudiées.
À l’inverse, d’autres porte-greffes se sont comportés comme l’indique la littérature scientifique. Le Riparia Gloire de Montpellier se range dans ceux qui ont donné une faible vigueur et une maturité élevée au gamay. Le Gravesac et le Rupestris ont, eux aussi, apporté une maturité élevée.
Autre surprise, «en 2020 et en 2022, deux années sèches, des porte-greffes connus pour être adaptés à la sécheresse, comme le Rupestris du Lot et le 44-53 M, ont davantage souffert que ce à quoi nous nous attendions, bien que la contrainte hydrique n’ait pas été extrême», relève Étienne Goulet.
«Ces observations ne remettent pas en cause nos connaissances sur les porte-greffes, mais souligne l’importance des autres facteurs (climat, sol, entretien du sol, taille…) sur le comportement d’une vigne. En outre, les caractéristiques de certains porte-greffes ne s’expriment que lorsque les conditions sont réunies. En l’absence de stress hydrique, des porte-greffes censés être résistants à la sécheresse auront un comportement similaire aux autres», explique directeur de l’IFV Val de Loire Centre.
Étienne Goulet rappelle également que les porte-greffes ont été décrits d’après l’observation de jeunes vignes. Or, leur comportement peut évoluer avec l’âge. C’est une autre révélation de cette étude. En réalité, la parcelle de gamay de Pouillé avait fait l’objet d’une première série de notations de 1994 à 1999. Entre cette période et 2020-2022, l’IFV a constaté une baisse de l’acidité des moûts avec tous les porte-greffes, à l’exception du 333 EM. Et au sein de tous les porte-greffes étudiés, c’est le 110 R qui entraîne, de loin, la plus forte chute de l’acidité totale des moûts. Alors que dans sa jeunesse, il donnait les moûts parmi les plus acides, à l’âge mûr, ses moûts sont parmi les moins acides. «Ce résultat n’a jamais été relaté à notre connaissance. Les suivis de porte-greffes sur vigne ancienne sont assez rares. Il conviendrait d’en faire dans d’autres sites pour vérifier s’il s’agit d’un comportement spécifique à cette parcelle», note-t-il.
Si l’étude montre de faibles différences de vigueur ou de maturité selon les porte-greffes, il n’en est pas de même en ce qui concerne la mortalité des souches. Trente ans après leur plantation, 100% des souches greffées sur le Rupestris du Lot sont encore là. Viennent ensuite les Riparia, 41 B et 99 R dont il reste aujourd’hui plus de 95% des plants. À l’autre extrémité de ce classement, on trouve le 140 Ru, le 420 A et deux clones du 3309 C (143 et 144). Plus de 20% des plants greffés sur ces derniers porte-greffes ont disparu. Les causes de cette mortalité sont inconnues. «Ces différences sont peut-être plus à relier aux conditions de production de la parcelle plutôt qu’aux porte-greffes», déclarent les auteurs de l’étude. Pour Étienne Goulet, «plus la parcelle et les conditions de production sont contraignantes, plus le choix du porte-greffe est essentiel».