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Les droits et devoirs de la SAFER au procès d’un grand cru classé à 10 millions €/ha
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Saint-Émilion
Les droits et devoirs de la SAFER au procès d’un grand cru classé à 10 millions €/ha

La vente à 72 millions d’euros et d’ennuis du château Beauséjour reste contestée par un candidat estimant avoir été injustement recalé par la Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural. Cette dernière réfute tout bonnement la procédure, tout en soulignant la remise en cause qu’elle pourrait avoir sur son fonctionnement. Délibéré le 29 février.
Par Alexandre Abellan Le 16 janvier 2024
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Les droits et devoirs de la SAFER au procès d’un grand cru classé à 10 millions €/ha
La cour d’appel de Bordeaux avait tout pour ravir les ruralistes ce 15 janvier. - crédit photo : Alexandre Abellan
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es sagas judiciaires à Saint-Émilion vous manquent depuis la fin des bisbilles sur les classements de 2012 et 2022 ? Voici un cycle judiciaire qui semble loin d’être fini pour les amateurs de droit rural : la vente contestée, depuis 2021, du château Beauséjour héritiers Duffau-Lagarosse. Soit 6,75 hectares de premier grand cru classé B de Saint-Émilion, que la famille Courtin a acquis en avril 2021 pour 72 millions d’euros, au nez et à la barbe de la famille Cuvelier, qui avait tenté d'assurer le rachat en le négociant au préalable avec les propriétaires du cru, la famille Duffau-Lagarosse. Mais c'est la famille Courtin qui a été finalement sélectionnée par la Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER), ce que conteste la famille Cuvelier. Dense, l’audience de la cour d’appel de Bordeaux revient ce lundi 15 janvier sur les contestations mettant sur la sellette la SAFER, qui table sur des incidents de la mise en l’état pour clore cette affaire tortueuse.

« C’est un dossier qui représente un enjeu important pour la SAFER » pose d’emblée maître Mathieu Bonnet-Lambert, la défense de la SAFER, qui note de potentielles conséquences économiques, la SAFER ayant empoché 2 millions € de commission (ce que l’avocat relativise au nom du financement des autres activités moins rémunératrices d’un établissement à but non lucratif), mais aussi un impact pratique sur « le cœur de fonctionnement des SAFER et sa façon d’aborder les dossiers » (ici les modalités de justification des cessions par substitution). Ayant soulevé des incidents de la mise en l’état, l’avocat bordelais plaide tout simplement la fin de non-recevoir. S’il répète ne pas vouloir faire obstruction à la contestation des candidats éconduits (« il ne sera jamais mis dans ma bouche que les candidats reclassés ne peuvent pas contester une décision de la SAFER »), il réplique par une liste de vices de procédure pour étouffer dans l’œuf la procédure de contestation au fond (« la SAFER ne craint rien »). Son argument central reste que les plaignants n’ont pas de qualité à agir, comme ils attaquent une décision interne de la SAFER, le procès-verbal du vote décidant l’attribution du 9 avril 2021, et non la notification externe au candidat malheureux, envoyée le 11 mai suivant. Un rideau de fumée pour les plaignants, qui critiquent une réécriture de l’histoire.

Chronologie

Actée le 7 avril 2021 par le conseil d’administration de la SAFER (de Nouvelle-Aquitaine) au bénéfice de la famille Courtin (possédant le groupe de cosmétiques Clarins) pour installer, via un bail à ferme, l’ingénieure agronome et œnologue Joséphine Duffau-Lagarrosse (huitième génération de la famille à la tête de la propriété, son père en ayant été le gérant), la cession du 12 avril 2021 est donc attaquée en justice par le candidat éconduit, la famille Cuvelier (possédant le clos Fourtet à Saint-Émilion et le château Poujeaux à Moulis-en-Médoc), et son candidat proposé à l’installation, Grégoire Pernot du Breuil (directeur d’exploitation des vignobles Nicolas Thienpont). Le refus de leur candidature reste d’autant plus difficile à digérer pour les candidats éconduits qu’ils avaient été choisis au préalable comme acheteurs par les propriétaires du château (dans une décision du 4 novembre 2020).

Mais il y a cette foutue SAFER

Défense de la SAFER, Mathieu Bonnet-Lambert critique ce tour de table confidentiel entre voisins pour s’accorder sur le rachat du grand cru classé. L’avocat rapporte les enchères entre la famille Cuvelier et Stéphanie de Boüard de Rivoal (qui gère le château Angélus, ancien grand cru classé B puis A de Saint-Émilion). En somme, « deux concurrents se tirent la bourre » et c’est « la famille Cuvelier qui remporte la queue de Mickey » pour 68 millions € (hors stock) avec « la volonté d’agrandir sa surface d’exploitation » qui serait de 1 096 hectares de vignobles pour l’avocat de la SAFER. « Mais il y a cette foutue SAFER » et la famille Cuvelier veut s’assurer avant toute sollicitation de rester l’attributaire du bien négocié. Demandant par courrier des garanties, la famille Cuvelier présente à la SAFER une « stratégie d’installation de Jeune Agriculteur pour être prioritaire sur le dossier face à Stéphanie de Boüard » rapporte Mathieu Bonnet-Lambert : « c’est de l’optimisation de candidature face à Stéphanie de Boüard » estime l’avocat, qui le dit « avec d’autant plus d’assurance que Grégoire Pernod du Breuil n’apparaît nulle part ».

La SAFER répondant par courrier à la famille Cuvelier qu’aucune garantie n’est possible sur la chose et le prix, les candidats ne pouvant être arbitrés d’avance, le château Beauséjour lance sa démarche auprès de la SAFER, mais « patatras, il y a une autre candidature : d’un côté on a la famille Cuvelier bien installée, qui en veut plus en allant chercher un Jeune Agriculture, et de l’autre on a la démarche inverse, une jeune héritière des actionnaires [du château Beauséjour] qui va chercher un partenaire financier (inévitable à ces niveaux de prix) » présente Mathieu Bonnet-Lambert, dont la grille de lecture n’a pourtant pas été suivie par le juge de première instance (tribunal judiciaire de Libourne, le 25 mai 2023).

C’est absolument absurde

Ayant été notifiée le 11 mai de la vente du 12 avril à la famille Courtin, la famille Cuvelier a cependant pu découvrir le résultat de la décision de la SAFER dès le 7 avril et la publication d’un communiqué de la SAFER tacle maître Alexandre Bienvenu, qui défend Grégoire Pernot du Breuil (le candidat à l’installation porté par la famille Cuvelier). « Nous dire que la décision d’attribution n’est pas celle du 7 avril 2021, mais la notification qui créé la décision rejetant la candidature, c’est absolument absurde. C’est le courrier qui autogénère sa propre décision. Alors Joséphine Duffau-Lagarosse est dans une autre sphère spatio-temporelle et connaît dès le 7 avril la décision » plaide l’avocat bordelais.

Défendant la famille Cuvelier (via sa compagnie de Villemétrie), maître Christine Jais-Melot cite également les conclusions de la SAFER lors d’une précédente procédure en référé, dont s’est désistée la famille Cuvelier : « "la validité de la cession doit s’apprécier exclusivement au regard de la décision de rétrocession du 7 avril 2021". Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la SAFER. Et cela a manifestement emporté la conviction du tribunal » en première instance. Épinglant au passage la « troisième candidate, Joséphine Duffau-Lagarosse, qui n’a jamais fait part de son projet de reprise de la propriété à sa famille », l’avocate bordelaise critique aussi les conditions de cession actées par le conseil d’administration de la SAFER.

Conditions irréalistes

S’il était acté le 7 avril la signature d’un bail rural de 18 ans pour installer Joséphine Duffau-Lagarosse, c’est finalement un bail rural sur 25 ans qui a été signé (non renouvelable, contrairement à celui de 18 ans). Et avec une séparation entre les vignes et les bâtiments, tout en ajoutant une clause pénale de 5 millions € si Joséphine Duffaut-Lagarosse exploitait les vignes pour son propre compte et non pour la SAS Beauséjour Courtin rapporte Christine Jais-Melot. Pour, l'avocate bordelaise, les conditions de fermage indiquées à la SAFER étaient des « conditions irréalistes : à 85 000 €/an, il faut 800 ans de fermage pour rembourser la propriété… La vente s’est passée à des conditions différentes de celles validées par conseil d’administration et les commissaires du gouvernement. » 

Passer crème

Défense de la SAS Beauséjour Courtin et de Joséphine Duffau-Lagarosse, maître Bernard Mandeville plaide « le sentiment de toute puissance au-dessus des lois de la famille Cuvelier. Mastodonte humilié qui veut ajouter un grand cru classé à ses 1 100 ha ». Taclant une « optimisation fiscale en faisant appel à la SAFER (l’économie de 5 % de droits d’enregistrement, soit 3,4 millions €) », l’avocat parisien attaque les arguments adverses présentant dans leurs conclusions Joséphine Duffau-Lagarosse comme « une jeune fille de bonne famille aux indéniables qualités photogéniques ». Pour Bernard Mandeville, « c’est de la misogynie indécente de la part d’une avocate ».

« La famille Cuvelier exploite 105 ha de vignes, vous faîies référence à un coefficient théorique » réplique maître Christine Jais-Melot, qui décrit une « famille Cuvelier modeste, qui ne fait pas de bruit et qui est bien petite à côté de la famille possédant Clarins qui leur fait la morale. Ce dossier n’est pas celui de l’amertume, mais de la justice. » L’avocat bordelaise épingle également le lobbying de Clarins, qui aurait envoyé une douzaine de courriers à la SAFER pendant la procédure pour indiquer son souhait d’attaquer toute décision en faveur d’un autre candidat.

Le conseil a privilégié la continuité familiale

Flirtant entre vice de procédure et débat de fond, l’audience présente un autre argument pour les candidats éconduits : l’opacité des motifs d’attribution. Pour Alexandre Bienvenu, le 7 avril, « la fameuse décision prise par la SAFER tient en trois lignes, "sous réserve des 3 conditions et le mise en œuvre de la vente, le conseil d’administration donne le mandat au président et au directeur pour motiver juridiquement la décision en appuyant le fait que le conseil a privilégié la continuité familiale". Alors que la SAFER doit installer des jeunes hors cadre familial, le conseil d’administration nous donne le contre-exemple complet. J’espère que nous pourrons mettre de côté l’espèce de babillage juridique de la SAFER pour aller sur le fond. »

Se lançant dans un concours de jurisprudence sur l’irrécevabilité ou non de leurs arguments, les parties se sont écharpées pendant 2h30. Seule position neutre dans ces débats électriques : la SCI du château Beauséjour Héritiers Duffau-Lagarosse indique s’en remettre à la sagesse de la juridiction. La cour annonce rendre son délibéré le 29 février.

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