iffusées ce mardi 12 décembre sur Arte, les 30 minutes du reportage "Champagne, l’envers d’un terroir" explorent le versant sordide des coulisses de la vendange 2023. Et documente auprès de certains saisonniers des conditions glauques de recrutement (attente à la gare d’Épernay, sur des parkings…), de travail (absence de contrats, journée de cueillette sans fin, longs trajets matin et soir, paie indécente, temps de repos insuffisant…) et de logement (pièces sans lit, tentes en lisière de forêt, manque de nourriture …). Réalisée par Robert Schmidt, Stéphanie Wenger et Ishaq Anis (qui signent aussi un dossier dans le Monde), l’enquête ne s’arrête pas sur les 5 morts de vendangeurs et 4 fermetures administratives de logements collectifs qui ont marqué les vendanges 2023, mais évoque les 2 enquêtes ouvertes pour traite d’êtres humains, le recours croissant aux prestataires de services étant au coeur du sujet.
Comme l’explique Stéphanie Wenger au début de son travail de terrain : « il y a des suspicions que les gens ne soient pas correctement payés pour leur travail. Il y a eu des cas par le passé d’hébergement dans des conditions terribles. Ce n’est pas la majorité, mais il y a quand même pas mal de cas. » Si le documentaire rappelle* que « de nombreux viticulteurs et marques respectent les règles, mais le secteur compte des brebis galeuses » ou qu’« évidemment, l’entièreté du secteur n’est pas concerné », il conclut qu’« il est clair qu’il ne s’agit plus d’exemples isolés ».


Sollicitée par Vitisphere, la filière Champagne (Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, Syndicat Général des Vignerons et Union des Maisons de Champagne) estime qu’« après le visionnage du documentaire publié sur Arte, il est certain que les situations décrites ne correspondent pas à l’image de notre filière et à l’engagement de la très grande majorité des professionnels. Nous condamnons fermement ces pratiques et comportements inqualifiables dénoncés dans le reportage. » Ajoutant que « lorsqu’il s’agit de la sécurité et de la santé des vendangeurs, les employeurs doivent être intransigeants sur les conditions d’hébergement et de travail. C’est notre priorité absolue », les instances champenoises indiquent que « dans l’attente du suivi des enquêtes judiciaires, nous sommes mobilisés pour répondre à l’urgence et traiter les problématiques de fond. Nous n’avons pas attendu les drames survenus en 2023 pour nous saisir des enjeux qui entourent le travail dans les vignes. »
Trouvant avec les journalistes un camp de fortune à la lisière d’une forêt, José Blanco, le président de l’Intersyndicat CGT Champagne est saisi par le témoignage d’une saisonnière roumaine démunie avec son enfant. « C’est de la traite d’être humain. Quand on voit ça, il faut arrêter, il faut stopper » s’emporte-t-il, ayant pour « espoir » que « les employeurs des grandes maisons se mettent autour de la table et qu’ils disent qu’il faut arrêter ça pour l’image et l’avenir du champagne ». Si la pression médiatique augmente, celle judiciaire est trop réduite pour l’avocat Benjamin Chauveaux, qui rapporte un dossier jugé où « une grande maison de Champagne a eu recours à une première société de prestation de services, qui a eu recours à une autre. Le troisième échelon a été poursuivi, mais tout en haut de la pyramide, la personne surveillant les vendanges est passée entre les mailles du filet. L’exploitation viticole fait vivre la région. On ne peut pas s’empêcher de penser que, forcément, on va s’attaquer à ceux qui tiennent le fouet, mais un peu moins au donneur d’ordre. »
Pour que ces drames ne se reproduisent pas, la filière champenoise propose cette fin d’année d’augmenter les capacités d’hébergement, de sécuriser les conditions de travail, d’encadrer les prestataires de services... « Les mesures annoncées à la mi-octobre se concrétiseront avant la prochaine vendange et plusieurs projets tels que la charte d’encadrement des prestataires de services, ainsi que des outils de transparence sociale, sont déjà en cours de finalisation » indiquent CIVC, SGV et UMC. Qui précise qu’« au titre de la filière, nous avons souhaité répondre à chaque demande des journalistes. C’est la réputation d’une filière et d’un savoir-faire reconnus dans le monde entier qui est menacée. »
Dans le documentaire d’Arte, c’est Christophe Pernet qui intervient pour la filière. Et qui rappelle qu’« à partir du moment où l’on fait appel à un prestataire on a des obligations à respecter et des contrôles à effectuer » Concernant les prestataires peu scrupuleux, « la vendange est une manne d’argent énorme qui attire les convoitises de gens malhonnêtes, malheureusement ».
* : Secrétaire générale de la CGT Marne, Sabine Duménil déclare ne pas avoir « de proportion sur le nombre de travailleurs, ça peut être des cas isolés. Mais un seul cas dans les vignes, ce n’est pas tolérable. C’est dans notre propre rôle de défendre les salariés et travailleurs et de ne pas accepter qu’ils travaillent dans des formes d’esclavage. »