as d’eau dans le vin des débats ce vendredi 8 décembre au Sénat pour le projet de loi de Finances 2024, mais un bel exemple de joute oratoire en parlementaires et gouvernement. Défendant son amendement pour créer un fonds sanitaire viticole doté de 60 millions d’euros pour répondre aux aléas climatiques non-assurés, le sénateur Sébastien Pla (Aude, Parti Socialiste) a tout fait pour interpeler, et choquer, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. « Parfois, je me demande si votre ministère n'est pas sous la tutelle de Bercy. Heureusement que Matignon arbitre du bon côté ! » lance le sénateur languedocien en référence aux annonces de la première ministre Élisabeth Borne sur l’absence de hausses des droits d’accises et de la Redevance pour Pollution Diffuse (RPD). Des remarques face auxquels « le ministre de l'agriculture manifeste son agacement » rapporte le compte-rendu du Sénat, qui présente un vrai dialogue de théâtre de boulevard :
Sébastien Pla : « Monsieur le ministre, pas de feintes entre nous : les 20 millions d'euros du fonds d'urgence rattrapés in extremis à la fin de l'exercice 2023 n'y suffiront pas – on vous l'a dit et même écrit. Et quel est le lascar… »
Marc Fesneau : « Oh ! »
Sébastien Pla : « …qui a eu l'idée géniale de l'adosser au régime de minimis agricole, balayant d'un revers de main un grand nombre d'exploitations ? » Et le sénateur d’asséner : « prévoir un fonds qui ne sera pas accessible ne relève guère du bon sens paysan ; espérons que vous ne faites pas là qu'une simple opération de communication ! »
Une critique que lui retourne habilement le ministre. « Monsieur le sénateur, il n'est jamais dans notre intérêt de créer de faux espoirs » amorce Marc Fesneau, rejetant la possibilité de crée un fonds sanitaire de 60 millions € pour les producteurs viticoles touchés par des événements climatiques exceptionnels. Car « la base réglementaire et juridique pour déployer un fonds sanitaire n'existe pas. Celui que vous proposez s'appuie, de fait, sur le régime des aides de minimis, celui-là même que vous me reprochiez d'appliquer » tacle le locataire de la rue de Varenne, ajoute que « si l'on ne s'appuie pas sur les de minimis, il faut recréer une base juridique, ce qui nécessitera des mois de discussion avec la Commission européenne. C'est bien ainsi, concrètement, que les choses se passent. »
Et le ministre de rappeler qu’il s’est engagé auprès de la filière vin occitane à « premièrement regarder dans le détail si le fonds d'urgence de 20 millions d'euros est suffisant pour répondre aux besoins ; deuxièmement, que nous allions défendre de nouvelles mesures devant la Commission européenne ». Notamment l’arrachage différé, désormais soutenu par l’Espagne et l’Italie. Sans oublier « la demande des producteurs à bénéficier d'une année blanche pour soulager leur trésorerie » ajoute Marc Fesneau, qui reviendra en janvier faire le point en Occitanie. « Monsieur le sénateur, essayons de proposer des dispositifs crédibles. Les viticulteurs ont droit à la vérité » poursuit le ministre, pour qui « ce n'est pas avec un fonds de 60 millions adossé à un dispositif qui n'existe pas que nous aiderons les viticulteurs. Pis, cela pourrait les désespérer. Ils le sont déjà suffisamment pour que nous évitions de les balader. »
« Monsieur le ministre, j'aime vos leçons. Je vous trouve très piquant ce soir » s’amuse Sébastien Pla, qui renvoie que « le fonds de 20 millions d'euros que vous évoquez […] a été calculé, en réalité, pour la Gascogne et le Bordelais. Il correspond aux besoins particuliers de ces territoires. » La Chambre d’Agriculture du Gers estimant ainsi que 26 millions € sont nécessaires « pour permettre aux exploitants de continuer leur activité et de garder un peu d'espoir » illustre le sénateur Franck Montaugé (Gers, Parti Socialiste). « Alors oui, je vous pique sur les de minimis, une règle totalement stupide. Ce sont les entreprises ayant investi ces trois dernières années, celles qui rencontrent des problèmes de marché et de trésorerie qui ont besoin d'accompagnement. Or elles ne sont pas éligibles ! » poursuit Sébastien Pla.
« Eh oui ! » réagit le ministre, pour qui « messieurs les sénateurs, que son montant soit de 20, 60 ou 600 millions d'euros, le dispositif que vous proposez ne peut être qu'adossé, si l'on veut aller vite – et il faut aller très vite –, qu'à un mécanisme de de minimis. Vous expliquez vous-même que le système que vous proposez n'est pas très opérant. » Et Marc Fesneau de répéter que pour le fonds d’urgence de 20 millions €, « nous allions quantifier et qualifier les besoins, afin de vérifier si cette enveloppe est suffisante, mais nous devons, quoi qu'il en soit, passer par le mécanisme de minimis ». Pour le ministre, « il serait vain d'inventer un dispositif qui fera l'objet, dans six mois, d'une notification à la Commission européenne et sur lequel nous devrons revenir en septembre. C'est une question de vérité vis-à-vis des viticulteurs. N'ajoutons pas à la désespérance. »


Si l'amendement n'a pas été adopté, « pour conclure, nous voterons votre budget… » lance Sébastien Pla lors de la discussion généralee. « Ah, vraiment ? Quelle surprise ! » réplique tout sourire Marc Fesneau. « …mais je vous incite vraiment à soutenir nos propositions. J'ai l'espoir que nous puissions avancer assez rapidement sur la loi d'orientation et d'avenir agricoles, qui est nécessaire » annonce Sébastien Pla : rendez-vous au prochain duel rhétorique.