’Australie n’est pas l’unique victime de la chute/fermeture du marché chinois des vins. Malgré son accord de libre-échange avec la Chine, et la quasi-exclusion de l’Australie depuis 2021, le Chili a vu ses exportations vers ce pays régresser de 9% en volume et de 9,6% en valeur en 2022. Ces régressions sont d’autant plus importantes que le Chili détient une part de près de 30% en volume de ce marché, et que la Chine représente sa principale destination en valeur. Mais les mauvaises nouvelles pour la filière chilienne ne s’arrêtent pas là : l’année dernière, les deux piliers de ses exportations que sont le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont chuté respectivement en volume de 17 % et de 8 %.
Plus globalement, de bonnes performances ailleurs (Mexique, Japon, Canada et Irlande) ont permis de limiter les pertes à -0,6% en volume et à -2% en valeur en 2022. Cette année, le bilan est bien moins positif : au cours des dix premiers mois de l’année, les exportations ont dégringolé de 22% en volume et en valeur par rapport à l’année dernière, selon l’Odepa (l’office des études et politiques agraires). Il faut dire qu’avec un encépagement national très fortement orienté vers les variétés rouges (74%), le Chili n’est pas le mieux placé sur un marché mondial en quête de blancs et de bulles. Son positionnement plutôt dans les entrées de gamme n’est pas non plus très heureux à l’ère de la premiumisation, tendance certes freinée par la crise économique mais qui reste un leitmotiv du marché international. S’y ajoutent des phénomènes plus conjoncturels, comme les pressions inflationnistes, les perturbations logistiques et la hausse du prix des intrants, qui se conjuguent pour faire monter le volume des stocks, en hausse de près de 10% en décembre 2022.
Mais pour certains observateurs, la situation à laquelle les opérateurs chiliens doivent faire face actuellement n’est pas passagère. « Le Chili n’a pas réussi à développer une notoriété pour sa qualité, sa provenance et ses prix. Ses vins sont devenus de simples produits de base », déplore Luca Hodgkinson, directeur et co-fondateur de la société chilienne Pro Bulk Wine qui commercialise chaque année quelque 2,5 millions de litres de vins de qualité en vrac, à la fois chiliens et argentins. Notant la chute libre du marché chinois, il constate l’absence totale de valorisation des vins chiliens depuis des années : « Je suis arrivé au Chili en 2006, et les prix sont plus bas aujourd’hui qu’ils ne l’étaient à ce moment-là. Lorsqu’on tient compte de l’inflation, la situation est déplorable ». Pour cet œnologue français, la cause est à chercher du côté de la structure des entreprises vinicoles : « Le déficit d’image du Chili est lié au fait que les grands acteurs du marché sont de grosses entreprises qui recherchent des retours sur investissement rapides ». Et de regretter : « La qualité des vins au Chili est sublime, mais il leur manque une vraie identité ».
A cinq mois de la prochaine récolte, avec une activité plutôt limitée du côté des acheteurs internationaux selon la société de courtage Ciatti, la situation risque de s’aggraver encore. Cela, malgré une récolte 2023 en baisse de 11,4% par rapport à l’année précédente. Dans ce contexte, le rythme des arrachages de vignes pourrait augmenter. Si la cadence était encore relativement limitée, à moins d’un pourcent, à la fin de la dernière décennie, la superficie du vignoble a régressé de 4,5% en 2021 en comparaison de 2020, pour passer de 136 166 à 130 086 hectares de vitis vinifera d’après l’Odepa. Cela, sachant qu’en l’absence de données actualisées, certains observateurs prédisent une accélération des arrachages et abandons de vignobles. Les espoirs à court terme portent, entre autres, sur le réveil du marché chinois et l’amélioration de la conjoncture. Reste à résoudre les problèmes structurels. Comme l’a rappelé l’ancien président de Vinos de Chile, Aurelio Montes, « il faut une à deux générations pour changer l’image d’un pays, mais il faut bien commencer quelque part ».