Jean-Marie Fabre : Je porte un triptyque pour l’avenir. Comment consolide-t-on l’économie ? Comment faire face au changement climatique ? Comment part-on à la conquête de parts de marché ? À court terme, il faut donner de l’oxygène aux trésoreries. D’après une enquête interne des adhérents des Vignerons Indépendants, 10 % de nos entreprises présentent un bon bilan financier et des résultats plutôt positifs, mais leur trésorerie est exsangue. La performance commerciale est là, mais les contraintes bancaires pèsent. Ces entreprises ont investi dans leur production, emploient, performent commercialement, mais l’inflation, les aléas climatiques et les chocs géopolitiques font qu’il n’y a plus de carburant dans un moteur qui fonctionne.
Aujourd’hui, un vigneron indépendant me confiait ne pas pouvoir payer l’avance lui permettant d’acheter les matières sèches pour conditionner ses vins. Il n’a plus de trésorerie après avoir payé ses charges. Il faut soutenir les entreprises avec une année blanche bancaire. Soit en autorisant un découvert à taux zéro, soit en négociant avec les banques pour reporter les annuités 2024 en fin de plan, avec un partage des annuités intercalaires par les banques et l’Etat. Il faut bien voir le risque encouru : 10 % des vignerons peuvent être demain en cessation d’activité. Pas par manque de performance de l’entreprise, mais parce que les coûts des charges explosent et qu’ils n’ont plus de trésorerie. La conséquence directe de ce défaut serait -10 % de chiffre d’affaires, -10 % de TVA, -10 % d’emploi dans les territaoires… Cela peut avoir des conséquences fortes ! L’année blanche est un levier efficace pour avoir de la disponibilité de trésorerie pour tenir en 2024.
Dans les débats menés dans la filière, on entend des demandes d’aides moins conjoncturelles et de réflexion plus stratégiques afin d’anticiper la consommation de demain.
Avec l’année blanche, je ne demande pas une aide pour aider le secteur, mais pour permettre le fonctionnement de ses entreprises. Bien malin celui qui peut imaginer ce que sera précisément la consommation de vin demain. On peut seulement dire de grandes lignes sans trop risquer de se tromper : développer l’innovation, adapter les profils... Le plan de filière en cours de réflexion doit permettre de donner un cap. Mais on ne sauvera pas la filière sans sécuriser à court-terme les équilibres économiques des entreprises, sans protéger à court-terme les cultures et sans conquérir de parts de marché. Il y globalement une compétition internationale : si le vignoble est un porte-avion de la France, quand il est fragilisé il faut mettre du carburant, la trésorerie, réarmer en prévenant les aléas climatiques qui vont contraindre la filière, et envoyer au front le porte-avion pour la reconquête des parts de marché. Il faut une flotte offensive : l’année va être mouvementée, la mer est démontée.
Il faut faire attention aux enjeux de la règle européenne des minimis pour la boîte à outils actuelle : transfert des Prêts Garantis par l’Etat en prêts bonifiés, fonds d’urgence… Et les anciennes PEC s’y trouvaient avec les exonérations de cotisations sociales et de TFNB. On va vite être au plafond des minimis. La contrainte de 20 000 € en trois ans va limiter des mesures qui sont efficaces. Il est capital d’aller plaider auprès de la Commission Européenne face à l’inflation galopante qui impacte fortement notre secteur d’activité. Il faut déplafonner les 20 000 €. Sinon, c’est comme si sur un terrain de rugby on nous demandait d’avancer et que l’on avait creuse au milieu du terrain une tranchée qui nous empêche de passer.
Vous évoquez l’inflation, qui semble toucher particulièrement les matières sèches, notamment les verriers…
La bouteille est le secteur qui a le plus impacté la trésorerie de nos entreprises. Malgré des baisses de 2 à 3 % des derniers mois, les verriers ne sont pas au rendez-vous dans l’accompagnement de la filière. Alors que les vignerons indépendants pèsent pour 2,5 milliards de bouteilles. Les verriers n’ont pas consenti à participer à l’effort de guerre, que nous avons dû assumer seuls. Il faut qu’ils fassent un geste plus fort. Avec un risque de défaillance, cela représenterait aussi -10 % de leurs conditionnements. Pour les groupes verriers, les bilans sont positifs et les comptes de résultat explosent de manière indécente par rapport à leur comportement. La trésorerie n’est pas un souci pour eux…
Concernant la résilience climatique, on a souvent l’impression que la filière est pilotée par les aléas…
La France doit être au rendez-vous historique du changement climatique. Il faut un acte fondateur fort du gouvernement pour le vignoble français. Et pour le vignoble du pourtour méditerranéen avant la fin d’année. Il faut préserver ce qui existe depuis 2 000 ans, ce qui protège la biodiversité et la population. Il faut un plan massif de prévention des aléas climatiques viticoles, que la France soit au rendez-vous de la transition climatique. Par exemple avec la construction de bassins d’expansion des crues.