a protection des appellations d’origine n’est pas un long fleuve tranquille. Et ce sont de désagréables remous qu’affrontent les vins AOC de Champagne face à la marque américaine de barbecues et autres produits de cuisine Champaign (appartenant à Monument Grill dans le New Jersey). Ce 10 octobre 2023, la division des oppositions de l’Office de l'Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle déboute le Comité Interprofessionnel Du Vin De Champagne de sa demande d’annulation et d’interdiction de la marque communautaire Champaign. « Même si les appareils et installations frigorifiques mentionnés peuvent être utilisés pour stocker du vin, les produits litigieux et le vin couvert par l'AOP Champagne sont très éloignés en termes de nature et d'aspect physique, de méthode de fabrication/élaboration et de destination » pose l’avis de l’EUIPO, pour qui « le fait que les deux signes coïncident dans la prononciation "champa(*)gn(*)" n'est, en l'espèce, pas suffisant pour que le public puisse établir un lien clair et direct entre la demande de dépôt de marque contestée, pour des réfrigérateurs, et le produit protégé, du vin provenant de Champagne. »
L’EUIPO ajoute que « même si le public pertinent ne percevra très probablement pas une telle signification dans le signe contesté, le fait que "CHAMPAIGN" fasse également référence à "une étendue de terrain plat" rend peu probable » la volonté délibérée de la marque de réfrigérateurs de parasiter l’AOC Champagne. Particulièrement actif, le service de protection de l’appellation du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) a déposé un appel ce 20 octobre, espérant obtenir l’annulation de la marque Champaign. « Nous considérons que cette décision est déroutante » réagit Marie-Anne Humbert Genand, la responsable du service protection de l’appellation et affaires réglementaires du CIVC, qui ne cache pas être « médusée » par ce rejet de l'opposition à l'enregistrement : « on était assez confiant ».


« Étonnante et décevante. Tels sont les mots pour décrire la décision de l'EUIPO. Il s'agit en réalité d'un recul par rapport à l'acquis jurisprudentiel des juridictions européennes et de l'EUIPO lui-même » enfonce le professeur Théodore Georgopoulos, le directeur du programme vin et droit de de l’Université de Reims. Citant l'affaire belge "Champagnothèque", l’expert pense aussi au dossier du bar à tapas espagnol "Champanillo" : un détournement de notoriété stoppé par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en septembre 2021. Dans une « analyse de la jurisprudence illustrant l’opinion de son auteur et non la position de l’Office », l’EUIPO saluait pourtant dans l’arrêt Champanillo « la volonté de la Cour de sanctionner tout acte visant à parasiter une marque (pour jouir de sa réputation), garantissant ainsi une protection étendue aux IGP/AOP » et estimant que « sur le plan idéologique, la jurisprudence de la Cour est la bienvenue », même si l'institut prenait ses distances : « l’arrêt en cause représente un nouveau glissement vers le droit des marques ».
Ne s'embarassant pas du passé, EUIPO tente de renverser la jurisprudence européenne. « Espérons que la Chambre des recours ne laissera pas persister un tel malheureux incident pour la protection des appellations » analyse Théodore Georgopoulos, pointant qu’« au moment où l'EUIPO s'efforce de convaincre qu'il a la légitimité de jouer un rôle dans la gestion des indications géographiques sous le nouveau règlement européen, il est important de ne pas laisser d'ombre quant à sa détermination de défendre l'acquis de leur protection. » Pour la Champagne, la lutte continue. D'autant plus que « tous les jours on voit des dépôts de marques avec le mot champagne » rapporte Marie-Anne Humbert Genand, évoquant d'autres procédures en cours.