J’en ai ras le bol des vignes à l’abandon. À cause d’elles, j’ai eu beaucoup de mildiou dans mes parcelles situées à proximité, au point d’y avoir perdu, je pense, 80 % de la récolte. J’ai même une vigne, entourée de friches, qui a été touchée à 100 %, alors que mes autres parcelles ne le sont qu’entre 20 et 25 % ». Vigneron à Pujols-sur-Ciron, en Gironde, Vincent Desqueyroux ne cache pas son écœurement. Pour lui, les vignes en friches, comme celles « très peu traitées par des gens en pseudo-bio », ont constitué des réservoirs de mildiou, alors que la maladie était déjà très virulente cette saison dans sa région.
Vigneron en bio à Monnières, en Loire-Atlantique, Philippe Ménard connaît bien l’impact des vignes à l’abandon dans son secteur. « C’est un problème récurrent les années à mildiou. Sur ces cinq dernières années, elles nous ont fait perdre l’équivalent d’une récolte sur nos parcelles de melon de Bourgogne qui se trouvent à proximité. Et cette année, ces dernières accusent 40 % de dégâts, alors que nos autres vignes sont moins touchées. Les symptômes y sont apparus dès la mi-juin, d’abord sur les feuilles puis sur les baies. Avec la forte pression, cela a ensuite évolué en rot brun ».
Christophe Deschamps, vigneron à Benais, près de Bourgueil, en Indre-et-Loire, est lui aussi convaincu de l’impact délétère des vignes délaissées et non traitées. « Les vignes en friche sont un amplificateur de la propagation de la maladie. Et si la pression de mildiou est forte, la vigne en friche affecte la récolte dans la parcelle attenante. La maladie y attaque souvent directement les raisins. » Un phénomène relevé également par Vincent Desqueyroux : « Les contaminations dans mes parcelles proches de friches ont débuté vers le 20 juin, immédiatement sur les grappes ».
Thierry Houx, également en AOC Bourgueil, à Restigné, est lui aussi victime de vignes à l’abandon. « Dès qu’une vigne est laissée friche, celles d’à côté sont plus marquées par le mildiou, comme par le black-rot. Cette année, dans deux de mes vignes proches de parcelles abandonnées, et exposées à des vents favorisant les contaminations, j’accuse 30 et 50 % de pertes, en particulier sur les rangs de bordure. »
Selon ces vignerons, le mildiou n’est pas arrivé plus précocement dans ces vignes jouxtant des friches. Il faut dire qu’ils avaient pris leurs précautions afin de limiter les dégâts. « Lors de mes traitements, j’ai aussi traité le rang de bordure des friches, je ne me suis pas gêné. Cela a un peu limité les symptômes », indique Thierry Houx. Et ses confrères que nous avons interrogés ont fait de même. Malgré cela, face aux attaques, Vincent Desqueyroux a dû réaliser des traitements supplémentaires dans ses vignes voisines de friches. « Dès que j’ai constaté les dégâts, fin juin, j’ai effectué deux applications de Valiant (association de fosétyl, de folpel et de cymoxanil), à effet curatif et pénétrant, entre mes traitements classiques, relate-t-il. Cela a stoppé la sporulation sur les feuilles mais les grappes ont quand même subi des dégâts. »
De leur côté, Philippe Ménard, Christophe Deschamps et Thierry Houx n’ont pas modifié leur itinéraire dans les parcelles proches de friches. « Nous sommes en viticulture bio et nous traitons déjà toutes les semaines, justifie Philippe Ménard. Mais si nous n’étions pas réactifs, les friches nous contraindraient à appliquer de un à trois traitements supplémentaires. » Face à la pression, sur l’ensemble de son domaine, le vigneron a intégré dans son programme quatre applications d’huile essentielle d’orange en curatif. « Elles ont asséché les sporulations, mais il y a tout de même eu des dégâts ».
Thierry Houx a lui aussi appliqué le même programme dans toutes ses vignes : un programme renforcé face à la virulence du parasite. « Cette année, j’ai traité huit fois contre le mildiou, confie-t-il, dont quelques passages en curatif avec du Pexium (mandipropamid et zoxamide), de l’Electis bleu (zoxamide et cuivre) et de l’huile essentielle d’orange. »
Face aux problèmes posés par les friches, Christophe Deschamps met en garde : « Certains vignerons ayant eu d’importantes pertes de récoltes ont déclaré en juillet, lors d’une réunion du conseil d’administration de l’ODG, que si rien n’était fait, ils cesseraient d’exploiter en fermage des vignes proches de friches. D’autres ont alors émis l’idée de procéder à des arrachages solidaires de friches pour ceux qui n’ont pas les moyens de le faire ».
Dans le Bordelais, Vincent Desqueyroux a lui aussi interpellé son ODG ainsi que l’organisme d’inspection Quali-Bordeaux. Car pour lui, « il faut réaliser plus de contrôles afin de lutter contre les friches ».