l y a quelques mois, Alain Deloire a posé ses valises en République Dominicaine. « J’étais invité par le ministère de l'Agriculture pour étudier la possibilité d’implanter des vignobles de raisins de cuve et de table dans ce pays au climat tropical » se souvient le jeune retraité de l’Institut Agro de Montpellier.
Le personnel de l’Instituto nacional de la uva (Inuva) a tenu à lui présenter un cépage cultivé sur quelques ares dans la province de Bahoruco pour élaborer un vin rouge fruité destiné à la consommation familiale. « On m’a expliqué qu’il était arrivé dans le pays avec les premiers « colonisateurs » vers le 17ème siècle » raconte le professeur.
Alain Deloire a alors envoyé des photos à des collègues ampélographes pour qu’ils identifient le cépage. « Ils ont d’abord pensé à des variétés que l’on trouve généralement en Amérique du Sud, comme le Listan Prieto mais certaines caractéristiques, dont la forme des baies, ne correspondaient pas vraiment ».
Le professeur est rentré en France avec quelques feuilles pour les faire analyser par le laboratoire de l’Institut français de la vigne et du vin de Montpellier. « J’ai bien fait, les feuilles ont matché avec l’une des 4000 Vitis sp. de leur base ADN : c’était de l’heptakilo, un ancien cépage grec. La République Dominicaine peut se targuer de cultiver un cépage non greffé et propagé depuis au moins 300 ans par marcottage ».
« L'heptakilo (ou eftakilo) est assurément un cépage chargé d'histoire, commente son ancien collègue Thierry Lacombe, expert en ampélographie. Il s'agit en effet d'une ancienne variété grecque cultivée depuis au moins deux millénaires pour ses raisins et son vin ».
Sa grande fertilité explique sa diffusion sur tout le pourtour du bassin méditerranéen dans les siècles passés. « En voyageant en Italie, dans les Balkans, en France, au Maghreb, ou en Palestine, il a pris plusieurs dénominations qui font parfois référence à sa productivité : trifera, tremani, triboti, trecisti, trummana, centorotolli, axina de tres bias, murette, sillas, serine e zeze, nepoznata, bouresla, boukhasla, ou abud » liste Thierry Lacombe. Aujourd’hui il n'existe plus qu'à l'état de traces et dans des collections.
« Du fait de sa riche histoire, on peut comprendre que l’heptakilo ait voyagé au-delà de l'Atlantique. Les colonisateurs des Amériques le cultivaient déjà dans leurs propres pays depuis longtemps ».
Thierry Lacombe indique par ailleurs que l’heptakilo a été le géniteur de plusieurs autres cépages traditionnels grecs, italiens, espagnols, ou maghrébins, dont le fameux muscat d'Alexandrie.