Philippe Bardet : Sans être arrogant, ce n’est pas un problème pour nous. D’abord, il n’y a pas de déconsommation de vin dans le monde, le problème est en France. Ensuite, le Beaujolais a une problématique de petite récolte pour la deuxième année de suite. Après 480 000 hectolitres en 2021, nous estimons produire 470 à 475 000 hl en 2022 après le coup de chaleur de l’été (43,5°C ont été mesurés le 4 août à la station météo du Beaujolais). En deux ans nous sommes à moins de 500 000 hl. Nous sommes loin des 800 000 hl de 2018, alors que l’on a vendu 650 000 hl en moyenne sur les cinq dernières années. Le Beaujolais manque de vin, malheureusement. Ça a supprimé les problèmes de baisse des cours, mais il y a de nouveaux problèmes à résoudre.
Vous partagez donc les soucis bourguignons d’approvisionnement des marchés…
Nous avons de moins en moins de récolte et de plus en plus de demande. On a les problèmes de la Bourgogne sans en avoir les prix. Aujourd’hui, on refuse des marchés, il faut arbitrer. On choisit les créneaux de distribution. Nous sommes de moins en moins présents en Grande Distribution (désormais 20 % des volumes), alors que c’est le réseau le plus touché par la déconsommation. Nous devenons plus dépendant de l’export valorisé : États-Unis, Grande Bretagne, Canada… On ne peut plus prétendre à être un produit à grand volume chez les distributeurs.
Comment éviter un revers de marché, et une crise, en cas de surproduction soudaine ?
Avec les problèmes récurrents de gel et de grêle, avec un vignoble vieillissant, avec le changement climatique… Il faudrait une grosse surprise pour qu’il y ait une grosse récolte. On peut espérer monter à 600 000 hl, mais plus atteindre les 800 000 hl. Aujourd’hui, les prix sont installés après deux millésimes. Le Beaujolais nouveau se vend autant après de nouvelles augmentations de prix. La récolte 2022 a changé de main, il n’y a pas un vin en vrac à moins de 300 €/hl en Beaujolais.
Nous devons être positionnés sur la catégorie des 10 à 20 € la bouteille, qui est notre catégorie, pas celle de 5 à 10 €. Notre problème est d’adapter la distribution à notre nouveau positionnement. C’est un message à faire passer aux distributeurs, qui peuvent être réticents. Alors que pour le consommateur la montée en gamme du Beaujolais est acceptée. Notre partenariat avec le concours du meilleur sommelier du monde 2023 nous permet de nous positionne comme un grand vin de terroir. Avant, on n’osait pas. Mais pourquoi une bouteille de Beaujolais ne serait pas aux prix de vente d’un Crozes Hermitage, d’un Terrasses du Larzac, d’un Mercurey, d’un Gigondas… ?