uinart, Bollinger, Deutz, Pol Roger, Billecart-Salmon, Taittinger… Nombreuses sont les marques de Champagne que des cavistes estiment avoir vu manquer à l’appel au moment des ventes de fin d’année, faute de livraisons (un ressentiment que l’on entend également en grande distribution, pour les maisons présentes sur ce réseau). La faute à la demande explosive, inattendue, pour les vins de Champagne entend-on chez les maisons, refusant toute idée de pénuries, mais faisant état de difficultés à respecter les commandes par manque de matières sèches pour habiller leurs bouteilles (coiffes en aluminium, cartons…). Pas de quoi calmer la grogne des cavistes exposées à ces formes de rupture, qui voient plutôt un arbitrage en faveur des marchés plus valorisés de l’export.
« Les cavistes sont remontés contre les maisons de Champagne… Surtout avec la réception de hausses de prix de 10 à 15 % premier janvier » indique Patrick Jourdain, le président du Syndicat des Cavistes Professionnels. Il faut dire qu’à cause des absences en fin d’année, « on perd du chiffre d’affaires. Quand on ne peut pas vendre une grande maison à 42-43 € comme il n’y en a plus, on propose un champagne de vigneron à 35 €. Ce qui répond à la demande du client, mais représente une perte, les champagnes n’ayant pas les meilleures marges pour les cavistes » explique le meilleur caviste de France honoris causa.


« Globalement nos chiffre d’affaires et volume Champagne sont en hausse » nuance Cyril Coniglio, le président de la Fédération des Cavistes Indépendants, qui souligne le succès d’autres marques « pensant cavistes ». Comme l’alternative assez courante à la rupture sur le blanc de blancs de Ruinart : un champagne De Venoge, marque où « notre marge est la même que sur un Ruinart vendu presque 50 % plus cher. Puisqu'il est tellement concurrencé avec la GD et internet que les cavistes ne peuvent plus pratiquer leur marge » pointe Cyril Coniglio, qui salue les réussites des maisons ayant évité la pénurie chez les cavistes : « Joseph Perrier, Thiénot, Lenoble, Henri Giraud... »
« La tension sur le marché des champagnes n’est pas nouvelle : on était prévenus. Tout le monde savait qu’il allait y avoir une pénurie sur les champagnes. » réagit pour sa part Christophe Hermelin, le directeur marketing de Nicolas, la première chaîne française de cavistes. « On savait tous que 2022 serait tendue pour le Champagne. Chez Nicolas, on a choisi de limiter les quantités distribuées pour éviter les ruptures en fin d’année » explique-t-il, soulignant que « 2023 va aussi être tendu… » Pour les cavistes Nicolas, la solution est la régulation de l’offre pour répondre à la demande le plus longtemps possible explique Christophe Hermelin, pour qui il n’y a pas de développement d’alternatives : « les gens sont attachés à une marque et restent dessus, ils ne changent pas ».
Ce que ne ressentent pas d’autres cavistes. Face aux tensions sur les grandes marques, « de plus en plus de cavistes vont vers les champagnes de vignerons et de caves coopératives » note Patrick Jourdain. Ce que confirme Cyril Coniglio, dont la majorité des 250 cavistes indépendants membres n'ont pas été touchés par ces pénuries. « Ils travaillent de plus en plus avec des vignerons. Ils font tourner les vignerons en cas de rupture chez l'un ou chez l'autre » rapporte-t-il le meilleur caviste 2018, ajoutant que « nombreux sont nos clients qui achètent des vins de Champagne de vignerons et ils ne cherchent pas un goût identique à chaque fois donc acceptent le changement. Nos clients ne se battent plus pour avoir les grandes cuvées en rupture comme Dom Pérignon, Krug, Cristal Roederer... Car les ventes sont faibles et très concurrencées en tarif sur internet. Donc un stock qui dort pour peu de vente. »
Comparant les principales maisons de Champagnes à celles de Bourgogne (où les références en rupture ne manquent pas), Patrick Jourdain estiment que « les champagnes ont la mémoire courte : pendant le covid, seuls les cavistes leur ont permis de faire un peu de volume quand les restaurants étaient fermés et que l’export ne fonctionnait pas. Les grandes maisons étaient toutes contentes de nous avoir, mais maintenant on est pratiquement inexistants pour eux. Ils préfèrent l’export. Si eux ont la mémoire courte, nous l’avons longue… »