Il est naturel de s’intéresser aux innovations, notamment lorsqu’elles visent à diminuer la pénibilité du travail, comme c'est le cas des exosquelettes. Agnès Ratgras, ergonome et conseillère nationale en prévention des risques professionnels agricoles à la CCMSA, recommande néanmoins de garder la tête froide. « Les exosquelettes constituent des moyens de prévention des risques professionnels, mais parmi d’autres. On aurait tort de les voir comme la solution miracle. » Selon les modèles, ces équipements sont destinés à soulager le dos, les épaules, les mains et les bras, voire le corps entier. Leurs prix varient de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros. « Des montants qui méritent une réflexion avant tout investissement », recommande Joël Donadi, conseiller à la MSA de Gironde.
Il s’agit de s’interroger sur la nature et l’étendue de vos besoins. « Beaucoup d’entreprises ne s’accordent pas ce temps et confient le travail à un fournisseur, indique Pierre Arthaud, chargé de mission à l’Aract Nouvelle-Aquitaine. Nous les incitons au contraire à établir leur propre état des lieux, de façon à garder la main sur leur projet. »
Bruno Farthouat (crédit photo DR)
Bruno Farthouat, conseiller à la MSA des Charentes, détaille : « Est-ce que je cherche à améliorer les conditions de travail ? Si oui, pour quelle(s) tâche(s) ? Est-ce que je cherche à soulager les douleurs expérimentées par un salarié ? Si oui, dans quelle situation les ressent-il ? Avec quelle fréquence et quelle durée ? Une fois qu’on aura défini ces besoins, on sera plus au clair pour questionner le fournisseur. » En tant qu’utilisateurs, les salariés devront être intégrés à cette réflexion. « Équiper un salarié affectera son travail, voire celui de collègues », prévient Agnès Ratgras.
Cette mise à plat de vos besoins sera l’occasion d'évoquer ou de mettre en place des alternatives aux exosquelettes. « On peut alterner les postes, changer des horaires, mettre en place des échauffements et des étirements avant le travail », énumère Bruno Farthouat. Chaque situation est spécifique. Par exemple, « l’Entre-Deux-Mers et le Médoc ont beau être proches, des différences de hauteurs de palissage modifient les contraintes de travail dans les vignes. »
L’exosquelette est un équipement personnel ; il ne peut pas servir à plusieurs salariés. « Il est nécessaire de le régler à la mesure de l’utilisateur, indique Joël Donadi. Il doit être à la fois efficace et confortable. Selon la morphologie de chacun, on peut être gêné au niveau des jambes ou des épaules lorsqu'on le porte. »
Joël Donadi (crédit photo DR)
De la même façon, un exosquelette peut se révéler adéquat pour une tâche mais pas pour une autre. « Il peut, par exemple, convenir pour manipuler des cartons de bouteilles mais pas pour tailler, s’il s’avère que les branches de vignes s’accrochent dans les bretelles », argumente Bruno Farthouat.
Bruno Farthouat met en garde : « Au Vinitech, j'ai vu des vignerons enfiler un exosquelette, et s’écrier “C’est génial !” après s'être relevés quelques fois de la position accroupie. C’est évidemment une conclusion hâtive ». Il faut tester ces équipements ou les louer avant de les acheter, idéalement pendant plusieurs jours. « Attention à l’effet miracle de la première journée », prévient Joël Donadi. « Si vous cherchez un exosquelette pour tailler la vigne, n'hésitez pas à attendre l'hiver pour le tester en condition réelle, recommande Bruno Farthouat. Si vous devez le porter l’été, il faut le tester dans les vignes par temps chaud. En effectuant des essais, vous pourrez aussi déterminer s'il est préférable de porter l’exosquelette par-dessus ou par-dessous un vêtement de pluie ou une combinaison de travail. » On vérifiera de même sa compatibilité avec le port d’autres équipements, comme la batterie du sécateur. Et Agnès Ratgras d'ajouter : « Il faut aussi réfléchir au stockage, à la maintenance, au nettoyage et au remplacement de pièces ».
S’équiper d’un exosquelette va augmenter le temps d’habillage et de déshabillage. « Même si cela se limite à quelques minutes, il y a de quoi modifier l'organisation du travail », souligne Joël Donadi. Le domaine doit alors définir s’il est prêt à prendre ce temps à sa charge. En contrepartie, minimiser les contraintes physiques peut avoir un effet positif sur le rendement. Toutefois, « avec seulement deux ans de présence de ces équipements sur le marché viti-vinicole, on manque encore de recul pour juger du risque éventuel de déplacer l’effort sur d’autres parties du corps », avance Bruno Farthouat. En tout état de cause, « si l’exosquelette doit répondre à un problème de santé, il sera prudent de solliciter l’avis du médecin du travail », conseille Joël Donadi.