e chenin a deux foyers, et deux histoires. Dans le Val de Loire tout d'abord, où il est né. Puis en Afrique du Sud, où il s'est épanoui à compter du XVIIe (lire l'encadré). Depuis, le pays s'est imposé comme le premier producteur de ce cépage au monde, avec 17 000 ha sur un total de 90 000. Historiquement, ce cépage blanc était orienté vers la production de brandy et de vin en vrac à petit prix, car il est généreux.
« En vingt ans, la production a beaucoup changé, indique Ken Forrester, président de l'Association du chenin blanc, créée en 1999, et vigneron à Stellenbosch.
Ken Forrester (Crédit Photo Patrick Touchais)
Ce vignoble est situé sur la façade Atlantique, à une heure de route du Cap, berceau historique du chenin. « Les vignerons ont réalisé un gros travail afin de mieux comprendre leurs vignes, indique-t-il. Au sein de l'association, on a aussi beaucoup échangé sur les vinifications. Tout cela a prodigieusement élevé la qualité de nos vins. »
Même si certaines parcelles continuent de cracher quelque 200 hl/ha afin de fournir des vins blancs de premier prix, la plupart des propriétés maîtrisent les rendements de leur chenin autour de 50 hl/ha pour les vins tranquilles, dans le but de monter en gamme. Si certaines cuvées affichent de bons prix (15, 20 ? ou plus), la masse reste toujours vendue à 3 ou 4 ? le col.
Depuis 2016, une association présidée par Andre Morgenthal, un ancien winemaker, met l'accent sur les vieilles parcelles. Cette association reconnaît en ?old vines? les parcelles de plus de 35 ans. En quelques années, elle est passée de 8 à 150 membres, pour près de 4 000 ha de vignes. Chaque cuvée issue de ces parcelles peut bénéficier d'un sticker certifiant qu'il s'agit bien d'un vin issu de vieilles vignes, indiquant la date de plantation. Pour pouvoir revendiquer le label, la parcelle ne doit pas dépasser 15 % de complants. Certains contournent cette contrainte en vendangeant à la main en deux passages : les vieux ceps d'abord, et les jeunes ensuite. « Selon une enquête que nous avons réalisée, la valorisation se situe autour de 0,50 ? par bouteille », indique Nadia Hefer, consultante pour l'association.
Au domaine de Kaapzicht, Danie Steytler a été l'un des premiers à adhérer à la démarche. Il possède une parcelle qui lui tient particulièrement à cœur : un hectare de chenin planté en 1947 par son grand-père, qui donne près de 2 000 bouteilles qu'il vend 25 ? l'unité. Ses deux autres chenins affichent 3 et 8 ?. Ses 150 ha, dont 20 de chenin, sont tous ensemencées en couverts végétaux qu'il roule avant la récolte.
Danie Steytler (crédit photo Patrick Touchais)
« Depuis quelques années, nous sèmons beaucoup de céréales et de légumineuses », explique Ken Forrester, au cœur de ses 38 ha. On n'a pas le choix. C'est la voie à prendre pour avoir des sols vivants. » A noter que le vigneron a supprimé les herbicides dans ses vignes. « Je fais du bio sans le faire certifier. Pas question de payer pour cela ! »
Autre sujet qui prend de l'importance : l'eau. Bon nombre de parcelles sont irriguées. La pluviométrie est très variable : il pleut 300 mm par an dans le Swartland, et jusqu'à 1 000 mm dans certains secteurs de Stellenbosch. « Dans notre vignoble, on irrigue avant et après la récolte »¸ souligne Alastair Rimmer, responsable du domaine DeMorgenzon, 46 ha dont 10 de chenin, dans la région de Stellenbosch.
Danie Steytler, lui, n'irrigue pas ses vignes. Bénéficiant de 500 mm de pluie par an, il estime ne pas en avoir besoin. « Mais j'y réfléchis, car le climat devient de plus en plus sec. » Cette année, il n'a plu que 3 mm chez lui entre septembre et novembre, durant le printemps austral. Face à la sécheresse, Marc Van Buuren, responsable des vins blancs et rosés au Domaine Rupert, à Franschhoek, à l'est du Cap, a activé l'irrigation en 2022 alors qu'il n'en avait pas eu besoin en 2020 ni en 2021. Sur ce domaine de 1 500 ha dont 150 en vignes, plusieurs retenues collinaires sont dédiées à l'irrigation. La pratique est commune. Mais beaucoup sont conscients que l'accès à l'eau va devenir problématique, en particulier au nord du Cap où pas un millimètre de précipitations n'a été enregistré cette année entre septembre et novembre. Pour remédier à cela, outre la couverture des rangs, beaucoup choisissent de pailler leurs vignes.
À l'université de Stellenbosch, Melané Vivier cherche une autre solution. Cette enseignante pilote une étude visant à trouver des cépages et porte-greffes adaptés à la sécheresse. Sur le vignoble expérimental de Welgevallen, elle et ses équipes ont planté en 2020 plus de 180 combinaisons de porte-greffes et de cépages, soit plus de 10 000 pieds. Certaines sont irriguées, avec des volumes divers, d'autres ne le sont pas du tout. Suivront toute une batterie d'observations et d'analyses, prévues jusqu'en 2027, afin d'étudier le comportement de ces vignes. À l'heure où, en France, certains militent pour l'irrigation, en Afrique du Sud, on réfléchit à s'en passer. « Selon les premières observations, les différentes modalités de chenin se développent bien ici », précise Melané Vivier. Confirmant qu'il ne s'est pas développé aux antipodes par hasard.
(reportage réalisé dans le cadre du Congrès international du chenin, du 1er au 3 novembre, à Stellenbosch).
Les premiers ceps de chenin ont été plantés en Afrique du Sud par des protestants qui fuyaient la France, après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Exilés d'abord aux Pays-Bas, ils sont ensuite venus s'installer en Afrique du Sud. Le cépage s’appelle alors le steen. Ce n’est que dans les années 1960 qu’on a découvert qu’il s’agissait en fait du chenin, originaire du Val de Loire.