Si l'on peut douter de la véracité des dires d'un avocat, les faits sont en revanche têtus » pose maître Gregory Clerc, avocat fiscaliste suisse (cabinet Aegis), qui défend Pierre Castel, le président fondateur du groupe Castel à Bordeaux (géant des vins, bières et eaux minérales), pour sa procédure administrative l’opposant aux services fiscaux du canton de Genève pour des recouvrements de dividendes non-déclarées par le passé. Alors que la presse, dont Vitisphere, a titré sur le changement de prénoms, de Pierre en Jésus Castel, pour ne pas déclarer tous ses revenus en Suisse, son avocat souligne que cette hypothèse est battue en brèche dans le jugement du 5 juillet dernier de la Chambre Administrative de la Cour de Justice de Genève. « Il ressort des pièces produites par le recourant, soit notamment de ses déclarations d’impôt pour les années 1982 à 1994, qu’il était connu de l’autorité fiscale tant sous le prénom de Jésus que de Pierre. Cet élément étant établi, il n’est dès lors pas nécessaire d’instruire davantage cette question » indiquent les juges.
Né Jesus Sebastian Castel en Espagne, le patriarche du groupe éponyme a francisé son prénom lors de son service militaire en France, devenant Jésus Sébastien Pierre Castel pour mieux s’intégrer. Prenant le nom d’usage de Pierre, le fondateur de Castel Vins s’appelle Jésus Sébastien Pierre Castel sur tous ses documents officiels, du passeport aux infractions pour excès de vitesse note dans un sourire maître Gregory Clerc, qui réfute l’idée que le fisc suisse ait découvert la fortune de son client par hasard (le classement des 300 fortunes suisses de la revue Bilan intégrant historiquement la famille Castel). « Pierre Castel n'a jamais triché avec son identité » résume l'avocat. Pour la défense de Pierre Castel (96 ans), il n’y a qu’un sujet d’interprétation rétroactive par l’administration fiscale suisse d’un acte de disposition des années 1990. Soit l’établissement en 1992 au Liechtenstein de la holding Cassiopée qui centralise tous les actifs du groupe Castel. « En dehors des montants et du nom, c’est une affaire tout à fait lambda de correctif fiscal » indique maître Gregory Clerc, rappelant que la procédure ayant été ouverte en 2017, elle ne peut se pencher que sur les dix années précédentes (et pas remonter jusqu’en 1992).


À l’origine de la révélation de cette affaire, le site suisse d’investigation économique GothamCity explique à Vitisphere qu’il faut reprendre le jugement pour saisir toute la complexité du dossier. Et son origine de l’enregistrement de Pierre Castel sous l’identité de Jesus Castel au registre du commerce suisse pour la société SACOFRINA, « une agence commerciale et de représentation : au sein du groupe Castel, elle sert de centrale d’achat de matières premières et de pièces détachables pour la construction de brasseries et d’usines » indique l’article originel de GothamCity.
Avec ses enjeux d’identités et de sociétés imbriquées dans le contrôle du groupe Castel, l’enjeu pour la justice suisse reste de connaître les montants que Pierre Castel a pu toucher de ses actifs sans les déclarer. La défense de Pierre Castel n’ayant pas communiqué de pièces justifiant des versements de dividendes à d’autres administrateurs des holdings gérant le groupe Castel*, la justice considère que la charge de la preuve lui revient, et non au fisc. Comme l’indique le jugement : « le fait qu’avant même la procédure de rappel d’impôt le recourant devait être considéré − selon lui − comme un contribuable genevois important, ne saurait imposer à l’autorité fiscale, comme il semble le prétendre, un devoir d’examen approfondi de ses déclarations fiscales, compte tenu notamment des impératifs de l'administration de masse. Les dispositions légales et la jurisprudence précitées imposent à tous les contribuables de fournir toutes les indications nécessaires à leur taxation, mais ne prévoient aucune exigence de contrôle accrue de la part de l’administration face à des contribuables fortunés. »
Maître Gregory Clerc précise que l’affaire ne concerne que Pierre Castel à titre personnel, les sociétés du groupe Castel y étant extérieure. L’avocat ne souhaite pas communiquer les reprises encourues, l’affaire se poursuivant devant la justice. Le Tribunal Fédéral suisse confirme à Vitisphere qu’il y a un recours pour ce dossier, mais ne peut communiquer plus d’informations sur ce litige.
* : Lors de la procédure judiciaire, le patriarche Pierre Castel indique aux juges avoir seulement « omis de déclarer certains éléments de revenus et de fortune entre 2007 et 2011 » (bénéfices de 18,4 millions € en 2007 et 50,1 millions € en 2008) et ses mandataires ont « souligné la difficulté à retrouver des documents utiles compte tenu du fonctionnement du contribuable (discussion orale, poignées de mains, "management à l’ancienne") ».