Dominique Fédieu : Il existe plusieurs types de générateurs antigrêle. Il faut ensemencer les nuages suffisamment tôt à l'iodure d'argent pour que l’effet de multiplication des noyaux glaçogènes ait un effet maximal. On allume au moins 3 heures avant l’épisode pour avoir un fonctionnement suffisant. Le rôle du prévisionniste est important : nous faisons appel à Keraunos. Dès le déclenchement d’une alerte, les bénévoles sont alertés sur le terrain pour pouvoir allumer les générateurs (il y en a trois par générateur pour des astreintes roulantes). Nous prévoyons une heure de battement. Pour un orage à partir de 21 heures, on lance l’alerte pour allumer les générateurs à partir de 17 h.
Quelles sont les limites de ce système ?
Il y a deux écueils. Le réseau n’a pas la même densité partout. La maille est plus lâche à l’ouest et au sud-ouest du département. Nous avons des difficultés à trouver des points de chute et des bénévoles. Nous avions 110 générateurs en 2016 (lors de l’audit demandé par le vignoble bordelais), désormais nous en avons 138 et pourrait y en avoir une quarantaine de plus pour que l’on assure une continuité du maillage (au moins tous les 10 km, au mieux tous les 10 km). Nous avons un trou sur la métropole [de Bordeaux] et sur des communes de grandes cultures ou de forêts. Les ruptures permettent aux orages de se recharger : c’est un vrai problème.
L’autre écueil est que l’on ne fait qu’amoindrir les effets de la grêle, de 50 à 70 % selon les cas. Ça peut annuler une petite grêle, mais ça ne peut que réduire les grêlons d’un évènement plus important. Selon les cas, des vents violents peuvent accentuer la grêle. C’est la limite du système.
Aujourd’hui, il est trop tôt pour le dire. L’orage s’est formé sur le golfe de Gascogne, avec de la grêle sur une large bande de communes du littoral. En progressant, cette bande s’est rétrécie. À chaque générateur se trouve un grêlimètre pour mesurer les impacts et les comparer avec les prévisions de tailles de grêlons pour savoir si le phénomène a été atténué. Ce qui est inquiétant, ce sont les occurrences de plus en plus violentes. L’an passé, un travail a été réalisé sur la question du changement climatique et de la grêle. La question n’a pas été tranchée. Mais il semble qu’il n’y aura pas forcément plus de grêles, mais avec une violence accrue.
Il y a de véritables chapelles dans le vignoble sur la lutte antigrêle : ceux qui croient aux canons, ceux qui s’en moquent, ceux qui préfèrent les ballons…
C’est un sujet clivant. Mais aucun moyen de prévention de la grêle ne permet d’annuler tout effet de la grêle. Même le système concurrent aux générateurs ne prend pas d’engagement de résultats. Et les filets antigrêles ne tiennent pas le choc dans certains cas : des arboriculteurs du Marmandais m’ont rapporté que des amarres se sont détachées et que de vieux filets se sont déchirés face à des phénomènes violents. C’est difficile à entendre, mais ce n’est pas différent de la protection [phyto] des cultures : aucun vigneron n’éradique à 100 % le mildiou, l’oïdium, la flavescence dorée… C’est la même chose pour les systèmes antigel : en dessous d’une certaine température, on ne peut plus rien faire dans certaines conditions. On voudrait une efficacité à 100 %, mais il faut être conscient des limites de la lutte antigrêle.
Pour autant, faut-il ne rien avoir comme système de protection ? Je suis prêt à poser la question. Ça ne me pose pas de souci, je n’ai pas d’intérêts financiers dans ces générateurs. Je vois les effets dévastateurs de la grêle, avec des vignes encore pelées, des vignerons qui ne récolteront rien cette année et qui auront des impacts l’an prochain selon les bois qui sont touchés. Derrière les interrogations, j’entends "à quoi bon".
Quels sont vos prochains projets ?
Nous sommes une petite association, avec un budget annuel de 300 000 €. Lors de notre dernière assemblée générale, la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB) a sollicité un plan de déploiement et de modernisation du système pour le faire évoluer. Nous avons réalisé de premiers tests de prototype semiautomatisé qui ne sont pas satisfaisants. Il y a encore du travail, mais cela permettrait de faciliter l’implantation de la prévention dans des zones moins peuplées.
Notre cotisation est à un euro par hectare de vignoble. Ce qui est peu par rapport aux enjeux. Il faut mobiliser tout le monde : communes, assureurs, viticulteurs… La protection des biens et services est aussi un sujet pour l’État, j’ai interpelé le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, lors de sa venue à Bordeaux à ce sujet. Nous avons aussi besoin de recherche, qui est à l’arrêt.