ême pas en rêve. La hausse des prix des matières sèches, de l’énergie et du transport a beau être criante, les vignerons qui vendent en grande surface n’imaginent pas la répercuter. Pour la plupart, c’est mission impossible, malgré l’engagement pris par neuf enseignes fin mars (voir encadré).
Antoine Schutz est cogérant des Vignobles Ruhman Schutz, à Dambach-la-Ville (Bas-Rhin). Il exploite 40 ha en Alsace et 30 ha en Corbières. À la fin de l’année dernière, il a obtenu une hausse de ses acheteurs. « Pour nous, de nouveaux tarifs se sont appliqués au 1er mars. Impossible de renégocier maintenant. Et, de toute façon, il y a toujours un décalage entre la hausse des matières sèches et le moment où nous la répercutons. Si j’ai acheté mes cartons pour un an, je ne vais pas renégocier en milieu d’année. »
« L’encre n’est pas sèche qu’il faudrait redemander un effort à la grande distribution ? C’est une mauvaise idée, après les foires au vin de printemps qui n’ont pas bien marché. Le premier qui va y aller va revenir avec des bosses », prévient Jérôme d’Hurlaborde, directeur commercial des Crus de Faugères, la cave coopérative de Faugères et de Laurens (Hérault).
Ici, 70 familles produisent 32 000 hectolitres de vin sur 850 hectares. Leur coop vend 2,5 millions de bouteilles, à 90 % en GD (grande distribution), le reste en vrac. « En début d’année, nous avons pu négocier de 1,5 à 2 % de hausse selon les produits, rappelle Jérôme d’Hurlaborde. Nos tarifs ont atteint un plafond de verre. Au-delà de 6 € en rayon, ils ne passent pas. Nous ne voulons pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis. »
Laurent Chardigny, non plus. Cogérant du Domaine de Rochebin, 50 ha à Péronne (Saône-et-Loire), il ne fait que de la bouteille et réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires avec la GD. « Suite au gel de l’an dernier, on a obtenu 10 % de hausse sur toute notre gamme, explique-t-il. Maintenant, pour compenser la hausse des matières sèches, nous mangeons sur nos marges. » Le plus inquiétant pour lui, ce sont les difficultés d’approvisionnement en bouteilles, étiquettes et cartons. S’il ne livre pas à temps, il risque des pénalités.
Même dans des circonstances exceptionnelles, la GD reste intraitable. Frédéric Cruchon en sait quelque chose. Gérant des Vignobles Cruchon et fils, 200 ha à Gaillan-en-Médoc (Gironde), ce vigneron réalise 25 % de son chiffre d’affaires avec trois enseignes. Impossible pour lui d’imposer une augmentation quand le prix des médocs a été divisé par trois depuis 2015. « Il faudrait 10 % de hausse pour survivre. Et de 20 % pour gagner de l’argent. Mais je n’ai aucun levier. Si je demande quelque chose, les acheteurs iront ailleurs », déplore-t-il.
Seule Anne-Laura Aulon se sent d’attaque. Elle vient de reprendre avec son compagnon un domaine 17 ha aux Garennes-sur-Loire, en Anjou, qu’elle a rebaptisé domaine du Matin Calme et qu’elle va passer en bio. « Les vins n’avaient pas augmenté depuis quatre ans. On a demandé 10 % de plus, ce qui a été tout de suite accepté », assure Anne-Laura Aulon, qui se voit bien aller renégocier après l’inflation causée par la guerre en Ukraine et pense obtenir gain de cause. Or elle traite avec un Leclerc local, loin des bras de fer au niveau national.
« Les enseignes de la grande distribution acceptent d’étudier attentivement les demandes de renégociation des contrats qui leur seront soumis par les entreprises touchées par les conséquences de la guerre en Ukraine. » Tel est l’engagement pris par neuf de ces enseignes, le 31 mars, sous l’égide du gouvernement. En appui de leur demande, les fournisseurs doivent apporter les factures justifiant les hausses qu’ils subissent. Force est de constater que les choses ne se passent pas ainsi sur le terrain.