i la transparence est l’apanage du verre, il n’est pas celui des verriers dont nombre de clients trouvent bien opaques la flambée des factures. Les prix des bouteilles s’envolent avec leurs délais d’expédition, pour des quantités de palettes tenant souvent de la pochette surprise à l’arrivée des camions de livraison. Alors que la filière vin est sommée par des acheteurs de justifier ses hausses de tarifs en dévoilant ses factures de matières sèches (notamment en grande distribution), il n’en est pas de même pour les verriers, qui se retranchent confortablement derrière une avalanche de justifications liées à l’emballement de l’activité post-covid et l’impact de l’invasion russe en Ukraine (avec des augmentations des coûts des matières premières, des emballages, de la logistique, des coûts énergétiques…).
Manque cependant une explication à la situation actuelle : la concentration à l’extrême de la filière mondiale du verre*, qui tourne au trust pouvant contrôler l’offre pour mieux tendre la demande. Déjà perceptibles avant la pandémie de coronavirus, les dérives de cette position dominante d’une poignée de groupes (pour ne pas dire un trio) sont exacerbées par l’actuelle succession de crises et les tensions de marché. Pour approvisionner les distributeurs en vins rosés, les bouteilles transparentes deviennent d’une telle rareté que les offres des verriers sont à prendre ou à laisser. Et ce même si des contrats ont précédemment signés, sur des volumes et prix désormais caducs.
N’ayant pas d’autre choix que de subir ces conditions pour répondre à leurs commandes immédiates, vignerons et négociants rongent leur frein, faute de substitutions (le conditionnement en PET et BIB augmentera, mais le verre vert reste une alternative inenvisageable pour beaucoup). Mais le souvenir de ces cuisants mois de lutte pour obtenir des bouteilles suffisantes ne peut qu’attiser un sentiment de revanche pour l’avenir. Comme celui bien connu dans la filière vin, qui veut qu’en cas de petite récolte le vignoble fasse payer le prix fort de ses vins au négoce, qui se rattrape en cassant les cours dès que la production redevient pléthorique. Dans le vin comme dans le verre, les situations peuvent s’inverser d’une année à l’autre, révélant les limites d’une construction tenant somme toute du château de verre.
« Toute votre félicité…
En moins de rien tombe par terre,
Et, comme elle a l'éclat du verre,
Elle en a la fragilité » écrivait ainsi Pierre Corneille dans la tragédie Polyeucte martyr (1643). À défaut de transparence et d’assistances commerciales de la part des verriers, il sera intéressant que les services anticoncurrentiels de l’État se penchent sur leurs modèles économiques et leurs orientations de production. Que soient dissipées les impressions de profits sur les pénuries et d’arbitrage au détriment des filières.
* : La délocalisation d’usines est également critiquée par certains opérateurs, la France ayant perdu une forme de souveraineté et d’indépendance en la matière.