as de boule de cristal pour prédire si un vin sera phénolé en cas de contamination par Brettanomyces. Mais un nouvel indicateur défini par Vincent Gerbaux, ingénieur œnologue à l’Institut Français de la Vigne et du Vin de Beaune, en Côte-d’Or : la teneur potentielle en phénols volatils (TPPV). Concrètement, il s’agit de doser deux acides phénols libres, l’acide coumarique et l’acide férulique, dans les vins rouges, ceux-ci étant les plus sujets à l’apparition de goûts phénolés.
« Brettanomyces métabolise l’acide coumarique en 4-éthyl phénol responsable des notes de cuir et d’écurie et l’acide férulique en 4-éthyl gaïacol aux notes de clou de girofle et pharmaceutiques, explique Vincent Gerbaux. Jusqu’à aujourd’hui, aucun laboratoire ne pouvait les doser de façon précise. Une fois ces deux concentrations connues, nous avons trouvé la bonne formule de calcul pour obtenir la quantité maximale de phénols volatils susceptibles d’être produits en cas de contamination du vin par Brett. »
Vincent Gerbaux conseille de réaliser ce dosage le plus tôt possible, c’est-à-dire à la fin de la fermentation alcoolique et avant la fermentation malolactique, « pour isoler les lots à risque puis les surveiller et les sulfiter davantage durant l’élevage ».
L’œnologue a mis cette analyse au point avec le laboratoire Exact, spécialisé dans les analyses fines des vins à Murlin, dans la Nièvre. « Nous réalisons une chromatographie en phase liquide (HPLC) couplée à une détection de masse, détaille Aurélie Hardy, responsable du laboratoire. D’après nos observations, les concentrations en acide coumarique et férulique sont situées entre 100 et 500 µg/l selon les échantillons. C’est donc très variable. Nous convertissons le résultat en TPPV, soit en teneur potentielle en éthylphénols, et indiquons à côté le seuil de perception des phénols volatils dans les vins rouges de Bourgogne, qui est de 200 µg/l. Si la TPPV est supérieure à cette valeur, le risque est très élevé d’avoir des goûts phénolés si des Bretts se développent dans l’échantillon. S’il est inférieur, le risque est faible ou modéré. »
Exact propose ce dosage en routine depuis moins d’un an. Il délivre le résultat en cinq à dix jours ouvrés pour un coût de 80 € HT. « Nos tarifs sont dégressifs en fonction du nombre d’échantillons. Aujourd’hui, notre analyse est encore méconnue. Donc nous avons uniquement eu des vins provenant de vignerons bourguignons qui ont participé à l’étude de Vincent Gerbaux », précise Aurélie Hardy.
À Bordeaux, Vincent Renouf ne croit pas à ce nouvel indicateur. Excell, le laboratoire qu’il dirige, dose depuis les années 1990 les acides coumarique et férulique dans les vins. « Pour nous, cela n’a jamais été un indicateur à suivre car les vrais précurseurs des éthyls phénols dans les vins ne sont pas ces acides, mais leurs formes estérifiées que sont les acides coutarique et fertarique », assure Vincent Renouf, lui aussi en quête d’un indicateur pour détecter les vins à risque d’apparition de goûts phénolés.
À ce jour, il compte une centaine de mesures des acides coutarique et fertarique avec des châteaux partenaires, mais il n’est pas encore certain de l’interprétation qu’il peut en faire. « Nous sommes loin de tout comprendre, mais nous accumulons des données pour aboutir prochainement. Nous trouvons environ 10 mg/l d’acides coutarique et férulique dans les raisins et dans les vins. Or les phénols volatils se trouvent dans les vins à des concentrations dont l’ordre de grandeur est en microgrammes par litre. Cette différence d’ordre de grandeur est difficile à interpréter aujourd’hui », ajoute le directeur.


De son côté, Vincent Gerbaux est sûr de son affaire. « Notre dosage des acides coumarique et férulique est extrêmement précis. Concernant les formes estérifiées, elles sont transformées en acide coumarique et férulique via l’enzyme cinnamoyl estérase or celle-ci n’est pas très présente dans les vins d’après nos observations car nous ne l’avons détectée ni dans levures commerciales ni dans les levures indigènes. Et nous l’avons trouvé dans une seule préparation de bactéries lactiques commerciales sur toutes celles que nous avons testées » explique-t-il. Reste à poursuivre les travaux et à se lancer dans ces analyses pour déterminer la pertinence de ce nouvel indicateur TPPV en cave.
Dans le cadre de son étude cofinancée par le BIVB, Vincent Gerbaux, ingénieur œnologue à l’IFV de Beaune, a analysé 165 cuvées de pinot noir et 21 de chardonnay sur cinq millésimes, de 2016 à 2020. Des vins non sulfités en attente de la fermentation malolactique. « La teneur potentielle en phénols volatils (TPPV) est très différente d’une cuvée à l’autre et la moyenne est de 566 µg/l pour le pinot noir », décrit Vincent Gerbaux. Il faut donc tout faire pour prévenir les contaminations des bourgognes rouges par Brett. Fait surprenant, la TVPP des blancs est elle aussi élevée avec une moyenne à 480 µg/l. « Il y a des blancs phénolés en Bourgogne, car le sulfitage intervient après la FML », rappelle Vincent Gerbaux. Ce dernier a cherché les paramètres ayant une influence sur la TPPV. Il en a trouvé peu. « L’origine et la maturité du raisin, la présence ou non de rafles n’ont pas d’influence. Aucune corrélation non plus avec le degré alcoolique, le pH, la teneur en sucres résiduels, l’indice des polyphénols totaux ou l’intensité colorante » affirme-t-il. Seules les macérations finales à chaud augmentent le risque, alors que les fortes populations de levures vivantes en fin de FA le diminuent.