’approvisionner ce premier semestre 2022 en bouteilles transparentes pour les vins blanc et rosés du millésime 2021 ? « La galère » résume Arnaud Sauvaire, à la tête du domaine des Sauvaire (25 hectares en AOC Coteaux du Languedoc à Crespian, Gard), rencontré sur le salon "Dégustez en V.O !" (lundi 2 et mardi 3 mai au Corum de Montpellier). Réfléchissant à d’autres options de conditionnement pour se faciliter la vie à l’avenir (comme le plastique, avec le PET), le vigneron a pu conditionner tous ses vins à temps : il en est d’autant plus soulagé que son fournisseur lui indique ne plus pouvoir lui fournir de bouteille avant l’été. En attendant, Arnaud Sauvaire conserve avec soin les bouteilles transparentes qu’il lui reste, tout en dépannant ses collègues vignerons de Sommières : le système D est de mise pour compléter les manques à l’heure des mises.
Au-delà de la solidarité vigneronne, on entend dans les allées du salon montpelliérain des histoires de reports d’embouteillage faute de contenants (ou de capsules, ou d’étiquettes…), de multiples causes expliquant les tensions d’approvisionnement (faible stock depuis la crise covid, grèves dans des usines, impact de l’invasion russe de l’Ukraine, surstockages accentuant la pénurie…) et de conditions d’achat révisées unilatéralement (augmentations non négociables, paiement à la livraison, hausse de la limite minimal de commande, changement pour des modèles plus lourds…). « Dans tous les cas, c’est à prendre ou à laisser. On n’a pas de mot à dire, le premier arrivé est le premier servi » soupire un vigneron languedocien.


Pour tenir les délais, des opérateurs changent de fusil d’épaule. « On s’est trouvé limite pour notre mise, mais par chance, notre verrier a trouvé le volume manquant avec du verre recyclé. Ce n’était pas la référence voulue, mais cela a permis de tout conditionner » explique Lise Fons-Vincent, à la tête du château de Fourques (50 ha à Juvignac, Hérault). « On ne s’attendait pas à ces difficultés, ce n’était pas prévu. Des délais passent de 1 à 3-4 mois avec pénurie » témoigne la vigneronne. Dans un autre domaine languedocien, le lancement d'une nouvelle gamme de vins rosés a purement et simplement été annulé, par crainte de ne pas avoir à temps la bonne référence de bonne bouteille. « Même avec un contrat ferme, on n'est plus certain d'avoir sa commande en temps et en heure » confirme une vigneronne héraultaise.
« En 30 ans dans la filière, je n’ai jamais vu ça » souligne Stéphane Molinier, commercial à la cave de Fontès (250 adhérents pour 800 hectares dans l’Hérault), qui réalise 40 % de ses ventes en conditionné (bouteille et bib) et s’est spécialisé dans le rosé (50 % des volumes). Au prix de hausses des délais et des prix, « on a pu honorer toutes les commandes. Il n’y a pas de rupture pour les bordelaises blanches, mais des délais passant d’une livraison dans la semaine à la livraison après un mois » note Stéphane Molinier, ajoutant que seules les bouteilles transparentes sont concernées, les bouteilles vertes ne posant pas de problèmes. Il y aurait cependant des tensions sur des références de bouteilles aux teintes de feuille morte indique Corinne Fraisse, du domaine de Villeneuve (55 ha en AOP Pic Saint Loup et IGP Saint Guilhem du Désert), notant que si cela concerne des vins de garde, les besoins peuvent être pressants (concernant par exemple des ventes pour la foire aux vins d’automne).
Touchant toutes les matières sèches du conditionnement (capsules, carton, caisses bois…), les tensions sont portées à leur paroxysme pour les bouteilles transparentes. « Tout est sous tension, on décale les mises en bouteille. C’est très angoissant comme marché, il n’y a pas de visibilité » témoigne Nan Ping Gao, à la tête du château la Bastide (60 hectares en Corbières). Comme le souligne la vigneronne : « prenez une bouteille de vin, de la tête au pied tout a augmenté. La capsule, l’étiquette… Mais comment le répercuter sur des vins vendus à moins de 10 € ? »
« On prend sur nos marges » confirme Arnaud Sauvaire, qui enregistre des hausses de ses coûts d’achat de 10 à 15 centimes par bouteille, pour une augmentation globale de 80 centimes à un euro pour le conditionnement d’un col. Mais pour le vigneron gardois, à la sortie du covid et face aux incertitudes sur la guerre en Ukraine, « on ne veut pas assassiner nos clients » et cette hausse n’est pas répercutée pour relancer le commerce : « cette année, c’est compliqué » souligne-t-il, se mobilisant dans le développement de son réseau commercial à l’occasion de salon. Dont "Dégustez en V.O !".