« Le prix est presque devenu secondaire, témoigne Philippe Thenailler, responsable achat et qualité du groupe Serge Cheveau, à Ladoix-Serrigny (Côte-d'Or), un important distributeur de bouteilles et de matières sèches. Les vignerons veulent avant tout des bouteilles ! » Or elles se font rares. La hausse du coût de l'énergie a incité des verriers à fermer des fours, notamment en Espagne. À cette pénurie s'ajoute une hausse des prix, annoncée début avril, de 10 à 20 % en moyenne.
À Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, Arnaud de Villeneuve s'est fait livrer 85 % de ses bouteilles en temps et en heure. Mais cela reste tendu pour les 15 % restants. « Pour le muscat de Rivesaltes, nous avions commandé nos bouteilles ? des bordelaises Antik, en verre extra-blanc ? en juillet et nous ne les avons reçues que début avril, souligne Jean-Pierre Papy, directeur général de cette coopérative qui commercialise 1,3 à 1,5 million de cols par an. Pour éviter une rupture de stock, nous avons tiré 5 000 cols dans d'autres bouteilles. Et maintenant que nous avons les bonnes, il nous manque les capsules ! On doit décaler notre mise à fin avril. Dans le contexte actuel, un mois de report, ce n'est presque plus grave ! »
Jean-Pierre Papy
Le délai d'approvisionnement des capsules est passé de quatre à cinq semaines à trois mois. Jean-Pierre Papy a passé des commandes fin mars qui ne seront livrées qu'en septembre. Et, côté prix, ses capsules ont augmenté de 5 à 6 %.
Anne-Laure Sicard, propriétaire du Mas Lasta, à Lodève, sur les Terrasses du Larzac, a commandé ses matières sèches comme d'habitude, après les vendanges, en octobre 2021. Deux semaines avant d'être livrée, en mars dernier, son distributeur l'informe qu'elle n'aura qu'une partie de ses bouteilles ; les blanches spéciales sont indisponibles.
« Changer de couleur, c'est impossible, car j'ai déjà présenté mes vins sur des salons, explique la vigneronne. J'ai donc choisi un autre modèle de blanche d'un autre poids et avec bague différente. Ma bouteille reste identique visuellement, même si la bague est un peu grande pour mes capsules. Si je l'avais su plus tôt, j'aurais acheté d'autres capsules. Cela aurait été plus pratique. »
Cette viticultrice fait appel à Embouteillage Services pour ses mises en bouteilles. Elle apprécie de travailler avec ce prestataire qui s'adapte en permanence aux contretemps de ses clients. « On sort d'une crise Covid au cours de laquelle nous avions des difficultés avec nos clients. Et maintenant, nous avons des difficultés avec nos fournisseurs ! », résume-t-elle.
Anne-Laure Sicard n'a pas prévu d'ajuster ses prix courant 2022 : « J'ai envoyé mes tarifs à mes clients début janvier. C'est compliqué de les revoir, même si c'est difficile pour moi d'assumer ces hausses de dernière minute. Heureusement, j'ai la chance de ne pas avoir gelé en 2021. »
De son côté, Nicolas Gautran, viticulteur dans l'Hérault au domaine Cailhol Gautran, à Aigues-Vives, attend avec impatience des bouteilles blanches pour son rosé. « Nous commercialisons 100 000 à 120 000cols par an dont 15 000 de rosés, détaille-t-il. Nous faisons des mises en bouteilles régulières. Mais nous n'avons pas reçu nos bouteilles blanches. J'espère les avoir en avril. Début mai, ce serait encore jouable. Après, c'est mort pour le rosé. » Autre conséquence de la pénurie de bouteilles blanches : le négociant à qui il vend du rosé en vrac n'est pas encore venu le retirer, faute de pouvoir, lui aussi, le mettre en bouteilles.
Nicolas Gautran
Par ailleurs, le prix du verre a progressé de 13 % début avril. « Tout augmente : les piquets, le GNR, les intrants et les matières sèches, poursuit-il. Je n'ai pas augmenté mes tarifs en 2020 et 2021. En 2022, j'ai appliqué une hausse moyenne de 7 %. Pour l'instant, je ne prévois pas de remonter à nouveau mes prix cette année car la conjoncture économique n'est pas très stable. »
Dans le Vaucluse, le domaine du Chêne Bleu - La Verrière, au Crestet, a également des problèmes d'approvisionnement en bouteilles blanches. « Début mars, nous avons revu à la baisse nos volumes de mises en bouteilles de rosé, de 250 à 180 hl, car nous n'avons pas été livrés de toutes les bouteilles commandées, précise Marlène Angelloz, responsable du site. Nous embouteillerons les derniers 70 hl début mai, en principe. Commercialement, ce n'est pas évident à gérer. Certains clients acceptent de ne recevoir qu'une partie de leur commande, d'autres tiennent à tout avoir. Globalement, ils sont plutôt compréhensifs. Ils savent que tous les secteurs de production sont touchés et que cette pénurie n'est pas de notre ressort. »
Reste que cette livraison en deux fois va entraîner des coûts de transport plus élevés. Ce domaine, qui commercialise 90 000 bouteilles par an, a augmenté ses prix de 4 à 5 % cette année, après une année 2021 sans hausse. Il n'avait pas prévu les surcoûts liés aux problèmes d'approvisionnement et espère ne pas avoir à ajuster de nouveau ses tarifs courant 2022.
Si la filière verre concentre toutes les attentions, la pénurie de cartons et de capsules inquiète également les vignerons. Éric Lamaille, responsable du service au Syndicat général des vignerons de Champagne, le constate tous les jours. Ce syndicat commercialise 45 millions de coiffes par an, principalement élaborées à base d'aluminium.
« Avant, quand on commandait en mars, on était livré trois à quatre semaines plus tard, témoigne-t-il. Cette année, ce sera au mieux en septembre ou octobre ! » En Champagne, les vignerons ont été échaudés par des ruptures sur les coiffes en fin d'année 2021. « Entre la crainte de manquer et l'anticipation des hausses, les commandes du premier trimestre ont été multipliées par trois, poursuit Éric Lamaille. Les fournisseurs ont du mal à suivre. La situation devrait se stabiliser au dernier trimestre. »
Ces pénuries, couplées à la volonté de moins impacter le bilan carbone, vont peut-être impulser des changements, à l'image de la nouvelle gamme Cerço, lancée par les coopératives bourguignonnes Terres Secrètes et Nuiton-Beaunoy, dont les bouteilles n'ont pas de capsule de surbouchage.
Neuf viticulteurs cultivant 11 ha confient toute la protection phyto de leurs vignes à Anthony Chaudron. « L’an dernier, tous nos clients sont allés à la vendange, se félicite-t-il. Mais ça a été difficile. Le mildiou a été très virulent. Sur pinot noir et meunier, on est passé jusqu’à 18 fois contre 8 habituellement. On a même fait deux passages de soufre en plus contre l’oïdium sur les chardonnays. Finalement, les pertes sont surtout imputables au gel d’avril. Au mieux, la récolte a été de 12 000 kg/ha sur deux parcelles. La moyenne est plutôt entre 7 000 et 9 000 kg/ha. La plus petite récolte s’est élevée à 2 500 kg/ha. »