On a commencé à sentir des tensions dès la campagne 2021 », relate Pascal Maran, responsable agronomique vigne chez Océalia, coopérative d’appros en Charente. Depuis, la situation s’est dégradée : ruptures de stocks et reports de livraisons se multiplient pour toute une série de produits phytosanitaires, sans compter les hausses de prix.
« Tous les fournisseurs sont touchés, donc tous les distributeurs, assure Jean-Paul Palancade, directeur du réseau de négoces d’appros du Sud-Est Agrosud. On a anticipé, mais on n’aura pas tous les produits que nous avons d’habitude. »
Ce sont surtout les commandes actuelles qui coincent. « Nos commandes passées en 2021 ont été honorées. Le souci, c’est pour celles que nous passons maintenant. Il nous faut trouver des alternatives pour des produits », explique Christophe Mailly, directeur adjoint du réseau Actura, qui regroupe des négoces et coopératives d’appros et qui couvre 230 000 hectares de vigne au total.
Quantité de matières actives sont concernées par des retards ou des ruptures : le métirame, les phosphonates, le soufre mouillable pour les fongicides, la propyzamide et le glyphosate pour les herbicides ou encore la deltaméthrine en insecticide.
« L’arrêt du mancozèbe a entraîné un report sur le métirame », constate Pascal Trémeau, responsable technique chez Phyto Service, dans le Centre. Or les produits qui en contiennent se font rares, tout comme ceux à base de diméthomorphe (DMM). Selon les distributeurs, BASF, le fabricant calculerait au plus juste les quantités produites, le métirame et le DMM étant en cours de réhomologation, et leur avenir incertain.
« Comme nos confrères, nous rencontrons une forte tension sur nos approvisionnements en matières premières nécessaires à la fabrication de nos produits, et cela de manière exceptionnelle, notamment à la suite de la pandémie, commente Béatrice Bacher, responsable marketing fongicides vigne chez BASF. Ces difficultés touchent nos produits à base de DMM, de métirame et de dithianon comme l’ensemble de nos gammes. »
Selon notre enquête, les distributeurs rencontrent également de difficultés d’approvisionnement en Zorvec (oxathiapiproline), un anti-mildiou. Dans le Sud-Ouest, Bertrand Launay, directeur général du Groupe Isidore, fait part d’un décalage de livraison. « Pour les dernières commandes, on devrait être livrés fin mars, au lieu de mi-février », indique-t-il. Le manque de Zorvec inquiète particulièrement en Champagne, où le produit est très attendu, « car il a le même profil que Mildicut ou Profiler, que l’on évite d’utiliser en raison des problèmes de résistances », explique Glenn Le Devendec, responsable technique et environnement à la CSGV (Coopérative du syndicat général des vignerons).
S’agissant du cuivre, les retours sont divers. Certains distributeurs ont du mal à s’approvisionner, d’autres non. En Champagne, Glenn Le Devendec est dans ce second cas. Au point qu’il voit deux options de secours se dessiner face aux pénuries d’anti-mildiou : le cuivre ou le folpel, autre matière active normalement disponible selon lui.
À ces pénuries s’ajoutent des hausses de prix. « Les phosphonates sont très utilisés chez nous. On a anticipé les commandes auprès des fournisseurs. Donc on a les disponibilités pour les vignerons. Mais la hausse de prix est conséquente. LBG a pris 25 % entre l’automne 2020 et l’automne 2021 », prévient Pascal Maran.
Quant au prix du glyphosate, il a doublé, voire triplé, selon les régions. « Et ce sera bientôt fois quatre », prédit Jean-Paul Palancade. « On n’a pas le choix, on va répercuter ces hausses sur nos clients », annonce Bertrand Launay.
Face à cette situation, les vignerons ont réagi différemment. En Charente, « certains ont commandé plus tôt pour être sûrs d’avoir du produit, alors que d’habitude ils attendent pour comparer les prix », relate Pascal Maran. « On a un bon mois d’avance en termes de commandes par rapport à une année normale », constate Glenn Le Devendec, estimant que les viticulteurs, échaudés par les pénuries de cartons et d’étiquettes, ont pris les devants. A contrario dans le Sud, Jean-Paul Palancade n’observe aucun changement de comportement.
Et les commandes à venir, seront-elles être honorées ? Chez Cérésia, coopérative d’appro en Champagne, Josquin Lernould, responsable marché appro viti-agri, assure que oui. En ajoutant : « mais, pour certains produits, je n’ai quasiment plus rien ». Un souci pour les viticulteurs, nombreux dans sa région, qui ne sont pas adeptes de la morte-saison. « C’est une campagne où les viticulteurs devront intervenir avec les produits disponibles, et pas forcément ceux de leur choix », avertit Jean-Paul Palancade. « Il ne faudra pas être trop difficile, ni trop regarder les prix », abonde Pascal Trémeau.
De son côté, Pierre-Yves Busschaert, responsable des affaires économiques de Phytéis (ex-UIPP, représentant les firmes phyto), est plutôt rassurant : « Aucun adhérent ne parle de rupture complète pour des produits, plutôt de retards de livraison. » En cause, selon lui, « une plus forte demande, pas forcément prévue et prévisible. C’est un phénomène fréquent : après une année de grosse pression, les producteurs refont leur stock, et prévoient plus, par peur de revivre une telle campagne ». Pour lui, si les distributeurs ont anticipé, les volumes commandés à l’automne ne sont pas suffisants, d’où un embouteillage actuel. Côté firmes, les plannings de production sont faits un an à l’avance. En tout cas, Pierre-Yves Busschaert considère que le Covid n’a pas eu d’impact sur la production des firmes.
« On a des ruptures sur les engrais minéraux depuis cet été, témoigne Josquin Lernould, chez Cérésia. Il y a eu un report sur les organiques, pour lesquels on voit des hausses de prix jusqu’à 30 %. » Ayant avancé ses commandes d’un mois, il a eu le nécessaire, « mais quid de la campagne prochaine ? » Et la Russie et l’Ukraine étant de gros fournisseurs d’engrais minéraux, la guerre va encore compliquer la situation.