a publication des chiffres de vente des produits phytosanitaires par le ministère de l’Agriculture suscite régulièrement la polémique. Il faut dire leur utilisation ne baisse pas aussi vite que le voudraient les autorités et les associations environnementalistes. Tant s’en faut.
En 2020, toutes les filières agricoles confondues, il s’est vendu 44 000 t de substances actives conventionnelles en France contre 56 000 t en 2009, soit 20 % de moins. Mais, si l’on ajoute à cela les produits autorisés en bio et ceux de biocontrôle, le total passe à 65 000 t en 2020 contre 64 000 t en 2009 ! Seule la consommation de CMR1 est en chute libre, avec une réduction de 93 % entre 2016 et 2020.
Pourtant, l’ambition de réduire l’usage des phytos ne date pas d’hier. En 2008, naît le plan Écophyto qui vise à réduire de 50 % l’emploi des phytos en dix ans. Un plan renouvelé en 2015. Parmi les bras armés de ces plans dans lesquels l’État a investi plus de 600 millions d’euros figurent les fermes Dephy (Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires) recrutées pour prouver que l’on peut traiter moins tout en préservant la récolte.
Aujourd’hui, il existe une quarantaine de groupes Dephy en viticulture, la plupart ayant atteint l’objectif visé. « Les vignerons de mon groupe ont réduit de 50 % leur consommation de phytos de synthèse », déclare Johan Kouzmina, ingénieur réseau Dephy dans la Marne. « L’IFT total [produits conventionnels, bio et biocontrôle, NDLR] moyen de mon groupe était de 17,8 en 2012. Il a chuté à 8,2 en 2020. Et, en 2021, année de forte pression nous l’avons contenu à 11,5 », indique Lise-Marie Lalès, ingénieure réseau Dephy en Côte-d’Or.
L’IFT, c’est l’indicateur-phare en Dephy. Il s’agit de l’indice de fréquence de traitement, le nombre de doses homologuées appliquées par hectare pendant une campagne. En Gironde, Jean-Baptiste Meyrignac, ingénieur réseau Dephy, évoque un recul de l’IFT total « d’environ 30 % entre 2012 et 2021, par rapport à la moyenne régionale de référence qui était de 18. Actuellement, cet indice tourne autour de 10 ou 11, sauf sur les années difficiles ».
Comment les vignerons ont-ils réussi ces tours de force ? D’abord en raisonnant chaque traitement et en adaptant les doses au risque. « Nous avons travaillé les seuils d’acceptation de symptômes de maladies sur feuilles. Nous avons aussi utilisé les seuils de nuisibilité pour la lutte contre les tordeuses », souligne Sandra Bennamane, ingénieure réseau Dephy du Narbonnais dans l’Aude.
En Gironde comme ailleurs, « les membres du groupe Dephy utilisent beaucoup les OAD DeciTrait et Optidose, qui permettent de réduire les doses en fonction de la pousse de la vigne et de la pression », confirme Jean-Baptiste Meyrignac.
Les vignerons ont aussi remplacé des produits conventionnels par du cuivre, du soufre, des phosphonates et d’autres produits de biocontrôle. Dans le groupe de Lise-Marie Lalès, ces produits ont représenté la moitié de l’IFT l’an dernier.
Reste un constat amer. « Les pratiques changent, mais pas aussi vite qu’on l’espérait », regrette Jean-Baptiste Meyrignac. Pourquoi ? Pour Nathan Muller, vigneron en bio à Traenheim et membre d’un groupe Dephy en Alsace, la réponse est claire : « Les vignerons font plus confiance à leurs vendeurs de phytos qu’à nos résultats, surtout les années à forte pression de maladies. » Johan Kouzmina avance une autre explication : « Le vignoble est très riche. Certains sont plus préoccupés par les moyens de défiscaliser que par leurs IFT… » « On demande aux vignerons de devenir des techniciens très pointus, en plus d’être bons en commerce et en comptabilité… Parfois certains vont au plus simple », remarque Jean-Baptiste Meyrignac.
Nicolas Massé, qui possède trois propriétés en appellation Bordeaux et Saint-Émilion, tient la conjoncture économique et les aléas pour responsables. « Les producteurs veulent sécuriser leur récolte. Dans ce but, certains sont revenus en arrière. »
Malgré tout, les choses progressent. À Montlouis-sur-Loire, en Indre-et-Loire, Frédéric Moreau a vu avec plaisir ses collègues de la Cave des producteurs progresser : « leur consommation de phytos a beaucoup diminué. Ils sont plus raisonnables dans leurs traitements ». Dans la Marne, Nicolas Chauvet, vigneron en Dephy à Rilly-la-Montagne, constate « que nos animations attirent plus de monde qu’avant. Au début, on était pris pour des fous. Aujourd’hui, on vient nous voir et discuter avec nous. Dephy essaime un peu, en lien aussi avec les suppressions successives de produits. »
Pour impulser ces changements, les vignerons Dephy sont appelés à témoigner de leurs résultats. « Ce sont de bons ambassadeurs. Avec leur expérience, ils savent ce qui marche ou pas et ils en parlent », assure Lise-Marie Lalès. Mais, là encore, il est loin de la coupe aux lèvres. « Les vignerons ne témoignent pas assez lors des journées techniques que nous organisons, estime Manon Thaunay, du réseau Dephy en Indre-et-Loire. Et, si c’est un coopérateur ou un responsable d’exploitation de lycée viticole qui témoigne, certains vignerons en cave particulière ne les écoutent pas car ils ne s’identifient pas à eux. »
Pour Philippe Germain, vigneron à Nantoux, en Côte-d’Or, c’est l’inverse. « Nous ne sommes pas assez mis en avant alors que nous avons un bilan très positif que nous avons envie de partager », s’agace-t-il. En Champagne, Johan Kouzmina déplore aussi la difficulté d’atteindre un large public de producteurs. « On n’est pas bons en communication. Les conférences sur les résultats Dephy peuvent attirer une cinquantaine de personnes, mais ce sont souvent des vignerons que l’on connaît déjà. Il y en a d’autres que l’on ne touche jamais, sauf lors du renouvellement de leur Certiphyto. » Comment les intéresser ? Les groupes Dephy cherchent encore la réponse.
En Gironde, Jean-Baptiste Meyrignac et son groupe Dephy ont réalisé des vidéos sur la qualité de la pulvérisation. Ces tutoriels montrent comment régler son pulvé, étape par étape. Ils ont aussi créé des fiches sur l’hivernage et l’ordre d’incorporation des produits phyto dans la cuve. Le tout est disponible sur un Glide, une plateforme de messagerie pour smartphones, accessible via un code QR diffusé par la chambre d’agriculture. « Nous avons aussi mis au point un module “TP Pulvé” avec l’IFV et la MSA, pour apprendre les bons réglages aux jeunes des lycées viticoles de toute la France de façon très concrète. Actuellement, le fonctionnement de la pulvérisation, les réglages sont enseignés de façon trop théorique », explique le conseiller viticole.