En France, une partie importante de la population rurale vit dans des régions viticoles. Ces personnes sont-elles particulièrement exposées aux produits utilisés pour les traitements phytopharmaceutiques et, si oui, comment ? » posent dans un communiqué l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses) et l'agence nationale de santé publique (Santé Publique France). Pouvant inspirer de nouveaux dispositifs de prévention des risques, cette interrogation taraude depuis 2015 les services dépendants du ministère de la Santé. Elle doit désormais être explorée par l’étude PestiRiv menée d’octobre 2021 à août 2022 dans le vignoble.
« La viticulture [étant] choisie de par l’importance de son utilisation de produits phytosanitaires et de par le fait que des populations qui vivent dans ces zones viticoles sont souvent très proches des parcelles » indique en conférence de presse Sébastien Denys, le directeur Santé-Environnement-Travail pour Santé Publique France, pour qui PestiRiv « répond à une préoccupation très importante sur le lien entre l’exposition à des produits phytosanitaires, en l’occurrence des pesticides, et des impacts sur la santé. D’un point de vue toxicologique, ces impacts et le caractère dangereux de ces substances sont de mieux en mieux documentés. En revanche, sur la question des molécules auxquelles sont exposées les populations au voisinage de ces parcelles, la littérature scientifique est beaucoup moins documentée. »
Pour corriger ces lacunes, le protocole PestiRiv va suivre 3 350 personnes résidant dans 250 communes réparties sur 6 régions françaises (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur*). 1 500 adultes et 750 enfants résideront à proximité de vignobles (moins de 500 mètres d’un pied de vigne, mais plus de 1 km d’une autre culture), 750 adultes et 350 enfants serviront de population témoin dans des communes rurales équivalentes mais dans des zones non-agricoles (à plus de 1 km de toute parcelle).
Prélevant des cheveux, de l’urine et l’environnement (air extérieur et intérieur) avant et pendant la saison des traitements, ce protocole doit rechercher les traces d’une cinquantaine de molécules actives utilisées dans le vignoble. Fruit d’une sélection hiérarchisée, cette liste de fongicides, insecticides et autres herbicides « correspond aux substances les plus spécifiquement utilisées en viticulture, les plus vendues, les plus rémanentes et les plus toxiques » indique Ohri Yamada, le directeur de la mission de phytopharmacovigilance de l’Anses.
Boscalid, folpel et glyphosate figurent dans cette liste de suivi, mais pas le mancozèbe. Cette dernière substance venant d’être interdite, elle ne pourra être utilisée en 2022 souligne Ohri Yamada, qui précise que PestiRiv « s’intéresse aux molécules contemporaines. Et pas à celles anciennes, qui peuvent continuer à exposer les populations à cause de leur rémanence (et sont étudiées dans le cadre d’autres études). »
Prévoyant une publication des résultats en 2024, Clémence Fillol, épidémiologiste à Santé Publique France, souligne que « cette étude originale (couplant mesures biologiques et environnementales) va nous permettre de décrire spécifiquement l’exposition des riverains de cultures viticoles et de voir s’il y a une surexposition de cette population ». Comme le résume Sébastien Denys, « il s’agit de mesurer les expositions pour les gérer ».
Devant retirer les biais alimentaires, environnementaux ou professionnels des participants, l’étude documentera aussi les pratiques des vignerons riverains. Prévoyant de solliciter les domaines voisins après les vendanges 2022, les autorités sanitaires espère ainsi « connaître la pression d’utilisation des produits dans l’environnement » indique Ohri Yamada. Qui souligne que parmi les participants tirés au sort, il y aura forcément des vignerons et des employés viticoles. Réalisée d’octobre à décembre 2019, l’étude pilote sur un échantillon de 72 personnes recensait ainsi 15 % de vignerons (pour des résultats de pure faisabilité technique, sans mesures biologiques précise Sébastien Denys).
Finalement, « le principal objectif est de savoir s’il existe une différence entre l’exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes et de celles vivant loin de toute culture » soulignent les autorités sanitaires, qui souhaitent le cas échéant « identifier l’influence que peuvent avoir la distance aux vignes, la saison ou encore les habitudes et les comportements des individus sur cette exposition ».
* : Les noms des communes où des prélèvements seront réalisés ne sont pas communiqués avant la fin des mesures annoncent l’Anses et Santé Publique France. « Pour des raisons méthodologiques, nous ne souhaitons pas aujourd’hui communiquer la liste des communes, parce que cela pourrait avoir un effet sur la modification du comportement par rapport à certaines voies d’exposition » indique Sébastien Denys, pour éviter des « biais d’exposition qui induiraient des biais méthodologiques dans le protocole ».
Les mesures de PestiRiv « permettront d’identifier de manière objective les sources qui contribuent le plus à l’exposition aux pesticides et d’adapter les mesures de prévention » indiquent les autorités sanitaires, expliquant sur schéma les sources qui seront étudiées. Par exemple l’air intérieur du logement, les habitudes alimentaires, les produits utilisés au domicile (comme les insecticides)… Sans oublier les phytos utilisés par les jardiniers amateurs.