roisième et dernier round au tribunal correctionnel de Bordeaux pour les marques dites domaniales et leur jurisprudence. « La loi est parfois longue à se mettre en place » glisse la juge Caroline Baret, présidant ce 3 décembre sa dernière audience à la tête de la quatrième chambre du tribunal judiciaire de Bordeaux. Ayant jugé, et condamné, "le Bordeaux de Maucaillou" (désormais en appel) et "le Bordeaux de Larrivet Haut-Brion" (également en appel), la juge se penche sur "le Bordeaux de Citran" (malgré une série de renvoi ayant failli lui faire manquer cette conclusion). Pour le procureur, l’affaire est claire en termes de droit de la consommation : il y a « pratique commerciale trompeuse parce que rien dans l’étiquette ou les sites internet ne vient désavouer la pensée que le Bordeaux de Citran est issu du château Citran et n’est pas un vin d’assemblage » estime Nathalie Quéran, s’appuyant sur le discours commercial ambigüe du vin de négoce par rapport au château Citran, ainsi que sur l’étiquette du premier qui reprend tous les codes du second (typographie, tailles de caractères, couleurs et paon inséré dans le "C" majuscule de "Citran").
Portant l’accusation, le ministère public demande la mise en condamnation à hauteur de 300 000 euros avec sursis pour la maison Ginestet (ayant réalisé un chiffre d’affaires estimé à 2,1 millions € pour la vente de 602 000 cols, la moitié à l’export) et à 150 000 € avec sursis pour le château Citran (ayant perçu une redevance de 437 000 €), ainsi que 30 000 € avec sursis pour leurs représentants légaux respectifs : Franck Lederer, le directeur général de Ginestet, et Denis Merlaut, le président du château Citran (le premier étant également membre du conseil d’administration de Citran, quand le second est le président du conseil de Ginestet).


Pour Franck Lederer, l’absence de représentation de château sur l’étiquette du "Bordeaux de Citran" et l’ancienneté du dossier (les étiquettes étant devenues "Bordeaux Citran" depuis 2017) doivent plaider pour que Ginestet « ne serve pas d’exemple pour toute la filière ». Pour le négociant, « le texte sur lequel s’appuie l’accusation pour condamner les pratiques commerciales trompeuses de la maison Ginestet n’est pas clair. Pour preuve, il y a encore dix jours j’étais convié à une réunion entre l’UMB (Union des Maisons de Bordeaux) et la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB) pour essayer d’arriver à élaborer une charte qui pourrait contenter la Direccte (Direction Régionale de la Concurrence) sur les pratiques commerciales. » Si le résultat de ces débats semble incertain, la réunion suivante a été « annulée à l’initiative de la Direccte dans l’attente de votre jugement » précise Franck Lederer.
Patientant jusqu’au délibéré du 17 décembre, les débats internes à la filière s’annoncent d’autant plus passionnés que les enjeux commerciaux restent forts. « L’idée du Bordeaux de Citran ne vient pas de nous, mais des chaînes de grande distribution pour répondre au consommateur » indique Denis Merlaut, précisant que « les grandes surfaces demandent un type de vin au standard défini, pour pouvoir suivre en volumes si la demande décolle. Nous avons suivi l’exemple de la première marque de Bordeaux, Mouton Cadet [NDLA : qui ne peut être poursuivie actuellement] et du Bordeaux de Maucaillou : il y avait un accord tacite à se développer. »
Avant la note conjointe de la Direccte et de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) le 22 juin 2018 (également devant les tribunaux), il est difficile de reprocher à une marque de négoce d’avoir été borderline confirme maître Alexandre Bienvenu, l’avocat de la FGVB (portée partie civile). D’autant plus qu’en l’attente d’une jurisprudence arrêtée, il n’y a pas de consensus dans la filière. « Quand j’écoute les viticulteurs, certains me disent être vignerons indépendants et perdre des mètres de linéaires en grande surface à cause de ces produits. Les coopérateurs disent que cela leur va parce que le négoce leur achète à des cours supérieurs. Mais des coopératives font l’effort de développer leurs propres marques et d’être moins dépendantes du négoce. Il est difficile d’avoir une position, les choses sont compliquées » souligne maître Alexandre Bienvenu, qui appelle le ministère public à recourir à des transactions pénales à l'avenir plutôt qu'à des poursuites. « C'est en cours » conclut Nathalie Quéran.
« Vous ne pouviez pas totalement ignorer que lorsque le consommateur voit une telle bouteille, ne pouvait pas se dire que ce vin n’est pas une marque de négoce lambda, mais se rattache à une exploitation château Citran » plaide maître Alexandre Bienvenu.
* : La contre-étiquette indique « Citran® Bordeaux est issu d’une sélection rigoureuse effectuée par la Maison Ginestet en collaboration avec les équipes du Château Citran, pour élaborer un vin d’assemblage de qualité dans la tradition des Grands Vins de Bordeaux. » L’argumentaire des plaquettes commerciales revient essentiellement sur la propriété : « château Citran, Classé Cru Bourgeois en 1932, est l’une des plus anciennes maisons nobles du Médoc. La première mention connue du domaine remonte à 1235. À cette époque, son propriétaire est le Marquis de Donissan. Durant six siècles, ses héritiers conserveront le domaine, mais la vigne, si elle est présente, reste parcellaire. Il faudra attendre le XIXe siècle pour voir un vignoble se structurer sous la houlette de M. Clauzel. Les frères Miailhe, puis la famille Cesselin, tous amoureux du domaine, y poursuivront une politique d’intense développement. Après neuf ans de gestion japonaise, c’est en 1996 que Citran redevient français grâce à son rachat par la famille Merlaut, connue et reconnue pour être passionnée par le terroir et la vigne. Citran exprime désormais toutes les potentialités de son terroir. Ses cent hectares de belles graves et ses installations lui donnent les moyens d’aller rejoindre les Crus Classés sur le podium des meilleurs. »