Alsace
Procès Albrecht, les viticulteurs restent sur leur faim

Le procès en correctionnel du négociant Jean Albrecht, les 4 et 5 novembre à Colmar, n’a levé qu’un coin du voile sur les raisons qui ont amené à la liquidation de l’entreprise en 2012.
« Dans cette affaire, ce sont les viticulteurs les véritables victimes ». Ce constat déjà dressé par les parties civiles l’a également été par la défense du prévenu et indirectement par l’intéressé lui-même qui finira par dire à la fin des débats qu’il « regrette d’avoir fait perdre beaucoup d’argent aux viticulteurs ». Le cumul des créances présentées par les 137 vendeurs de vrac et de raisins défendues par l’Association des viticulteurs d’Alsace et les quatre domaines représentés par l’avocat de la Confédération paysanne, avoisine quelque 7 M€ sur un passif ramené à 12,5 M€.
A LIRE AUSSI
Durant le procès, les viticulteurs n’ont toujours pas eu d’explication claire sur où était passé l’argent des hectolitres qu’ils avaient livrés et que la SA Albrecht aurait revendu pour se faire de la trésorerie. Tout juste ont-ils eu un regard sur le fonctionnement interne de l’entreprise dont la situation financière a commencé à se dégrader dès les années 2003-2004. Cette issue ne constitue pas vraiment une surprise dans la mesure où la pratique de vente à perte reprochée au négociant fait l’objet d’une seconde procédure. L’instruction de ce pan de l’affaire Albrecht est toujours en cours. Le deuxième pré-rapport de l’expert judiciaire chargé de démêler l’écheveau des transactions de vins de la SA domaine Lucien Albrecht sur la période 2004-2012, devait être livré ces jours-ci. Autant dire que les viticulteurs n’ont pas fini d’attendre la suite de ce procès, au civil cette fois.
Dans l’immédiat, Jean Albrecht a dû répondre devant le tribunal correctionnel de Colmar de six délits dont banqueroute, présentation de comptes annuels inexacts et abus de bien social. Le commissaire aux comptes et le cabinet qu’il représentait ainsi que l’expert-comptable de l’époque comparaissaient avec lui. Sept ans après les faits, une grande partie des débats a porté sur les écarts de stock de 7 000 hl (dixit l’accusation), résultant de la comparaison entre l’inventaire physique et les déclarations récapitulatives mensuelles (DRM). « Je n’ai pas d’explication » a déclaré au tribunal un Jean Albrecht, peu loquace. Son défenseur, en revanche, a retrouvé les volumes des DRM en additionnant la capacité de stockage du domaine, du vin déjà embouteillé et un stockage complémentaire localisé à dix minutes du siège de la SA Albrecht et jusque-là, semble-t-il, ignoré de tous... Le point est crucial dans la mesure où l’accusation s’appuyait sur cette différence de chiffres pour étayer son argumentaire de surévaluation de la valeur du stock (1) à hauteur de 8 M€ entre 2008 et 2011 afin d’embellir ses comptes et d’augmenter (fictivement) ses capitaux propres et ainsi inspirer confiance à ses fournisseurs et clients.
Pour le ministère public, Jean Albrecht a « voulu gagner du temps par tous les moyens » pour sauver son entreprise, en trafiquant notamment ses comptes. Les investigations des enquêteurs ont conclu que l’homme ne s’est pas enrichi personnellement. Aujourd’hui salarié à 1 300 € mensuels de l’entreprise dirigée par ses deux filles, il est présenté comme un homme « ruiné ». Le ministère public a requis contre lui trois ans de prison avec sursis, 10 000 € d’amende, obligation d’indemniser les victimes et interdiction de gérer une entreprise. Le délibéré sera rendu le 23 janvier 2020.
Le stock constituait 61 % des actifs inscrits au bilan 2011.