Je veux démontrer que si l’on empêche la pluie de tomber sur les grappes et feuilles [de vignes], on empêche le mildiou de se développer » pose Patrick Delmarre, le fondateur de la start-up Mo.Del. Dévoilant fièrement ce 17 décembre le premier prototype de Viti-Tunnel, un filet imperméable et respirant, enroulé au-dessus de la vigne et pouvant l’englober comme une tente, l’entrepreneur est en pleine opération de séduction. Il cherche à convaincre dix grands châteaux bordelais d’accueillir en 2019 les essais de son dispositif de couverture automatique, et de soutenir financièrement cette expérimentation. Chaque propriété s’est vue proposer l’implantation sur trois rangs de 50 mètres du dispositif Viti-Tunel, pour 17 000 euros sur deux ans.
Malgré le coût élevé (pourtant réduit grâce à 240 000 € de subventions) et le manque de visibilité (qu’il s’agisse de résultats ou de perspectives de mises en marché), l’aréopage réuni des directeurs des grands crus des Graves, du Médoc et de Saint-Émilion ne cache pas son intérêt porté pour ce projet novateur. Pour ne pas dire iconoclaste, mais qui ouvre une cascade de pistes pour réduire drastiquement l’exposition des vignes aux pesticides et aux aléas climatiques.
Pouvant couvrir en quelques minutes la vigne sur laquelle il est positionné en cas d’alerte météo, le premier prototype de Viti-Tunnel se propose de mettre un terme aux contaminations du mildiou, du black-rot et de l’excoriose. « Ce sont trois maladies qui sont strictement dépendantes de la pluviométrie pour se développer. SI l’on empêche la pluie de toucher la plante, on empêche la maladie » martèle Patrick Delmarre, qui compte aussi développer une solution contre l’oïdium*. « On a créé une boîte hermétique impropre au développement des champignons » résume Eduardo Echavarria Díaz-Guardamino, le directeur général des entreprises Barre, qui ont conçu et fabriqué le prototype, et qui sont désormais associées au projet (voir encadré).
Au-delà de la réduction des phytos, Viti-Tunnel doit aussi protéger les vignes contre les pertes de récolte par les aléas climatiques. Paragrêle, son filet recouvre la vigne et pourrait ainsi augmenter sa température, et donc limiter les dégâts de gel. Lors de la fleur, fermer le tunnel pendant les pluies permettrait aussi d’éviter toute coulure climatique estime Patrick Delmarre. « Additionner les fonctionnalités permet d’amortir l’investissement » souligne Francis Moinereau, le directeur commercial de Texinov, qui a développé le filet en polyéthylène.


Prometteur, ce prototype « solid edge » doit désormais faire la preuve de son concept, en suivant le protocole mis en place par l’Institut Français de la vigne et du Vin (IFV). Des placettes expérimentales devant permettre de mesurer l’effet de Viti-Tunnel sur la pression sanitaire, ainsi que sur la maturité des raisins et l’impact sur les vins. « Le projet prend de la consistance, on va passer de la théorie à la pratique, mais il s’agit d’un prototype expérimental et pas d’un produit définitif » prévient Patrick Delmarre.
La première version de Viti-Tunnel est présentée comme un moyen de vérifier la réduction de la pression sanitaire, sans avoir vocation à être le modèle qui pourrait être commercialisé à l’avenir. Le système actuel d’enroulement laisse ainsi des questions pratiques en suspens (notamment pour le rognage). Un second prototype est développé, avec une approche différente, tandis qu'un troisième système est déjà envisagé.
Pour confronter son prototype à une utilisation in situ dans différentes situations, Patrick Delmarre attend pour début 2019 des réponses des châteaux sollicités. Son objectif étant d’installer trente rangées de prototypes avant la campagne du printemps prochain. Soit 1,5 kilomètre de vignes pouvant être couverte à volonté. Patrick Delmarre attend également l’aval de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) pour autoriser l’utiliser en appellation les vins issus des vignes couvertes. Une fois ce cadre obtenu, le projet pourra passer à la phase de test en plein champ, et démontrer s'il est possible de mettre le rendement des vignes à l'abri des principales maladies et autres aléas climatiques.
* : Dans un second temps, l’entrepreneur envisage en effet d’installer des bonbonnes de soufre fleur dans l’armature de Viti-Tunnel. Afin de traiter contre l’oïdium en préventif, des premières feuilles à la véraison, et qu’il n’y ait plus besoin de passage de pulvérisateurs dans les vignes.
« Quand Viti-Tunnel s’implantera dans le vignoble, ça va commencer à parler dans les campagnes » se réjouit Patrick Delmarre. Après plus de deux ans à réfléchir à ce projet, l’entrepreneur se félicite de la tournure concrète prise par son idée. Ce virage du prototypage a été permis par la rencontre cet été, dans le cadre du cluster Inno’Vin, avec les établissements Barre pour réaliser la structure métallique (grâce à leur expertise dans le développement de serres spécialisées) et avec l’entreprise Texinov pour la couverture (un filet tricoté et indémaillable en polyéthylène qui est déperlant, respirant et paragrêle).
Technicien conseiller préconisateur aux établissements Touzan (groupe Isidore, qui encourage ses recherches), Patrick Delmarre est particulièrement bien placé pour connaître la demande viticole de réduction des intrants. Son idée de recouvrement des vignes est née de l'observation de son voisin maraîcher : devant traiter ses tomates de plein champ contre le mildiou, mais n'ayant aucun traitement à faire sous serre.