Cherchant officiellement à réduire le déficit commercial américain, Donald Trump brandit depuis quelques semaines des menaces de taxation sur l’acier et l’aluminium importés aux USA, y compris depuis l’Union Européenne. Celle-ci – qui avait préparé des mesures de rétorsion contre le bourbon, entre autres produits américains - devrait être exemptée provisoirement des droits de douane. C’est désormais entre l’USA et la Chine que le torchon brûle. Là aussi, en réponse aux menaces américaines, la Chine a préparé une liste de produits visés par des mesures de rétorsion, liste sur laquelle figurent les vins américains. Il va sans dire que la filière californienne s’émeut fortement des conséquences d’une telle mesure sur un marché (incluant Hong Kong) qui a rapporté près de 200 millions USD pour ses exportations en 2017. « Nos producteurs seraient grandement défavorisés à une période critique par des mesures de rétorsion chinois contre les vins américains sur l’un des principaux marchés au monde», a annoncé Robert P. Koch, PDG du Wine Institute. « Suite à des accords de libre-échange, nombre de nos concurrents étrangers bénéficieront prochainement d’un accès au marché chinois libre de droits de douane. Cette situation, conjuguée à des droits punitifs supplémentaires sur les vins californiens, pourrait entraîner la perte de parts de marché pendant des années ».
Le protectionnisme a priori cantonné à l’Amérique conservatrice
Derrière le slogan America First (l’Amérique d’abord), Donald Trump prône depuis sa campagne électorale une politique de protectionnisme et de nationalisme. Cette politique reflète-t-elle pour autant la vision des consommateurs américains ? « Nous n’observons aucun sentiment anti-européen ici », précise Jeff Cox, acheteur vins, bières et spiritueux auprès de PCC Natural Market Stores à Seattle, dans l’Etat de Washington. Première coopérative de consommateurs spécialisée dans les produits biologiques et naturels aux Etats-Unis, l’enseigne commercialise une gamme de vins qui fait la part belle aux produits domestiques – avec environ 40% – mais qui accorde aussi une place privilégiée aux vins français, espagnols et italiens. « Si sur le sol américain il devait y avoir ce type de sentiment, à mon avis il serait cantonné aux partisans de M. Trump, qui représentent environ 30% du pays et se trouvent essentiellement dans les Etats du Midwest et d’autres zones conservatrices ». Autrement dit, des populations peu consommatrices de vins importés, « plutôt adeptes du Jack Daniels et du Budweiser ».
Jeff Cox, acheteur vins, bières et spiritueux chez PCC Natural Market Stores
Les professionnels craignent que la situation ne dégénèreComme ses confrères du secteur des boissons alcoolisées, Jeff Cox surveille toutefois de près l’évolution des échanges entre les Etats-Unis et le reste du monde. « En tant que professionnels nous sommes tous plutôt anxieux et inquiets quant à la possibilité de voir la situation s’envenimer et l’administration Trump appliquer des droits de douane aux vins européens. Cela nous préoccupe. Pour le moment, Trump semble vouloir s’attaquer à des biens plus importants, comme l’acier, et est en train d’imposer des droits de douane aux produits chinois. Mais si on devait tomber dans la surenchère, s’il devait y avoir des représailles, le vin, les produits alimentaires et d’autres biens moins en vue pourraient être pris entre deux feux ». Ces tiraillements interviennent à une période où la France semble opérer un retour en fanfare sur le marché américain. Les exportations françaises vers le pays de l’Oncle Sam ont fait un bond de près de 15% en volume et de 14,5% en valeur en 2017 selon les chiffres de la FEVS qui, elle aussi, « suit de près ce dossier ». Jeff Cox confirme le retour en grâce des vins français sur le marché américain : « Ces dernières années, il me semble que globalement on a assisté à un regain d’intérêt en faveur des vins français. Ils offrent à la fois qualité et accessibilité et les consommateurs s’y intéressent. C’est le bon moment de commercialiser des vins français ».
L’impact de la légalisation du cannabis se fait sentir
Il reste à savoir comment le marché va globalement évoluer. « Le marché américain dans son ensemble, et plus spécifiquement dans notre région, s’avère un peu maussade actuellement. Dans le Nord-Ouest, on a tendance à dire que si les ventes sont stables, c’est que tout va bien. Chez nous, les ventes ont progressé mais l’augmentation est modeste. Le marché semble atomisé ». L’acheteur évoque la concurrence des spiritueux, notamment suite à un assouplissement de la réglementation régissant la vente d’alcools forts, puis aussi l’impact de la légalisation du cannabis. « La marijuana est désormais autorisée dans les Etats de Washington, Oregon et Californie. Un article publié récemment par Forbes a relaté une étude qui a montré que dans les pays où la marijuana médicale était légalisée, il en résultait un ralentissement inouï des ventes de vins et de bière au fil des ans ». Autre source de concurrence importante : la multiplication des boissons. « On assiste à de nombreuses expérimentations avec des boissons. On mélange des jus de fruits avec de l’alcool ou on propose du kombucha alcoolisé par exemple. Beaucoup d’opérateurs lancent des produits à tout bout de champ dans l’espoir de susciter des ventes. Le marché du vin semble un peu « largué » en ce moment ».
Les jeunes en quête d’authenticité
Faut-il pour autant en déduire que le secteur du vin doit, lui aussi, se lancer dans la course à l’innovation ? « Personnellement, je pense que la filière vin doit se poser des questions, notamment sur la manière dont elle commercialise ses vins auprès des jeunes. Il ne s’agit pas de bombarder le marché avec des nouveautés kitsch mais de raconter l’histoire du vin de qualité aux Millenials. La tranche d’âge des 50 ans et plus ne génère plus de croissance. Il faut faire des efforts pour rendre le vin plus attrayant à des jeunes en quête d’authenticité. Lorsqu’on regarde nombre de produits de masse commercialisés par les groupes américains, on voit qu’ils ne répondent pas à cette soif de valeurs authentiques. Ce n’est pas une question de prix. Il s’agit plutôt de trouver le moyen de communiquer sur le caractère et l’authenticité des vins auprès d’une toute nouvelle catégorie de consommateurs ».