Nous devons porter une réponse aux pressions sociétales. Pour certains, elle ne sera pas assez ambitieuse. Et pour d’autres ce sera trop » pose Cédric Moreau, responsable de la commission technique de l’Organisme de Défense et de Gestion des AOC Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc. Soumettant au vote de l’assemblée général du premier mars l’incorporation de mesures agroenvironnementales au cahier des charges des appellations médocaines, le président de Qualibordeaux se veut rassurant : « il n’y a pas de révolution en soi, ce sont des pratiques que vous mettez aujourd’hui quasiment tous en œuvre. La seule chose, c’est que cela s’inscrit dans le cahier des charges. » À quelques voix dissonantes près, l’assemblée générale a voté la mise en application de ces mesures, dans les trois ans suivant l’homologation du cahier des charges par l’État.
« Afin de préserver les caractéristiques du milieu physique et biologique qui constitue un élément fondamental du terroir », seront désormais obligatoires : le calcul de l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT), le retrait des parcelles et leurs environs de tous les ceps morts, l’analyse physico-chimique avant plantation des parcelles (pour adapter cépages et porte-greffe au terroir, et éviter des dépérissements)… Ainsi que la possibilité de planter en AOC des cépages non-inscrits au cahier des charges (rustiques ou résistants aux maladies cryptogamiques, tant qu’ils ne sont pas emblématiques d’autres régions et limités à 5 % des surfaces et 10 % des volumes).
Pour prétendre aux trois appellations médocaines, il sera également interdit de désherber chimiquement le contour des parcelles et de l’interrang (sauf pour les parcelles déjà plantées, dont l’entre-rang est inférieur ou égal à 1,30 mètre). Devient obligatoire l’adhésion à une démarche d’agriculture biologique ou de certification environnementale reconnue par l’État (Haute Valeur Environnementale, AgriConfiance, Terra Vitis, Système de Management Environnemental des Vins de Bordeaux…)
« Certains diront que ce n’est pas très ambitieux de seulement adhérer à une démarche. Mais c’est un premier pas, peut-être que demain, il faudra que ce soit effectif » esquisse Cédric Moreau. « Estimez-vous heureux que l’on ne demande que l’adhésion à un système environnemental. J’ai bien peur que d’ici très peu, on nous dise : vous devez adhérer. On ne fait qu’anticiper des mesures nationales » renchérit Alain Meyre, pour sa dernière assemblée générale en tant que président de l’ODG médocain. Le vigneron médocain rappelle d’ailleurs avec malice l’avance que le Médoc a en la matière : « il y a dix ans de cela, on avait mis des mesures environnementales dans nos cahiers des charges. On nous les a retoqués. Aujourd’hui, on nous les demande. »


Le Médoc s’inscrit ainsi dans la lignée des ODG ayant adopté de telles mesures. Soit les AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur, Lussac Saint-Émilion, Puisseguin Saint-Émilion, Saint-Émilion et Saint-Émilion Grand Cru, Entre-deux-Mers, Blaye, Cadillac, Castillon, Francs, Sainte-Foy et Côtes de Bordeaux. Actuellement, « 80 % des cahiers des charges d’AOC bordelais incluent des mesures agroenvironnementales. À ma connaissance seul l’Anjou en a validé un hors-Gironde. Les autres régions viticoles sont ravies que Bordeaux fasse paratonnerre sur ce sujet-là, mais les vents tournent » juge Bernard Farges, le président de l’ODG Bordeaux, présent à l’assemblée générale. Face à ce mouvement girondin, le viticulteur se dit persuadé que Bordeaux sera plus vite qu’on ne le croit identifié comme un vignoble vertueux, pour ne pas dire exemplaire, en termes de développement durable.
D’autant plus que de premiers chiffres attestent du changement des pratiques. Comme la baisse de 50 % des tonnages de phytos Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques entre 2014 et 2016. Si la majorité de la salle acquiesce silencieusement, la crainte de nouvelles contraintes administratives est murmurée, tandis que l’expression de peur plus viscérale est criée.
« Quand vous avez lancé que Bordeaux allait sortir des phytos, vous nous avez mis en porte à faux. Vous nous mentez, il y aura trop de frais, on ne pourra pas le faire le zéro pesticide » a lancé le vigneron médocain Rémi Fauchey, au détour d’une diatribe témoignant de la précarité de la paysannerie médocaine. Interpellé en tant qu’ancien président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, Bernard Farges a maintenu son discours : « je le dis et le redis, nous avons pour objectif à Bordeaux la diminution forte, voire même la sortie, de l’usage des pesticides ». Le viticulteur étant convaincu qu’à long terme, l’obtention de nouveaux cépages résistants aux maladies cryptogamiques permettra d’y arriver : « ce n’est plus une utopie. C’est une piste forte. Je ne pense pas envoyer les collègues dans le mur. »