La biodiversité est un sujet complexe. Plus on cherche sur le sujet, plus les interrogations se multiplient » concède Josepha Guenser, chargée de mission biodiversité Vitinnov, lors des journées techniques de la cellule bordelaise de transfert. Glissé à la tribune, ce constat résume la déception des vignerons venus à ce rendez-vous glaner des éléments concrets d’amélioration de leurs pratiques.
Ayant bien conscience des attentes sociétales et des impatiences de la filière*, les chercheurs réunis à Bordeaux ces 14 et 15 novembre présentaient moins des résultats exploitables sur le terrain, que des interrogations fondamentales. Questions touchant aussi bien aux modes d’expérimentations, qu’aux analyses d’impacts économiques, à la difficulté d’établir des liens entre indicateurs, à la solidité de tendances observées sur une poignée de millésimes et dans quelques terroirs… Voire sur la malchance de voir un protocole pluriannuel plombé par le gel en 2017.


Pourtant, les équipes de recherches mobilisées sont nombreuses, portant les projets Resolve sur sols dégradés, PromESSinG pour la gestion de l’inter-rang ou Vitiforest pour l’agroforesterie… Mais à chaque fois, les résultats semblent en demi-teintes et difficilement exploitables. Par exemple pour le projet Vitiforest, « les effets sur la cicadelle verte d’arbres plantés dans la vigne sont soit nuls, soit contradictoires » souligne l’analyste Séverine Mary de Vitinnov. S’il n’y a pas de « prolifération », le jeune âge des arbres plantés pourrait expliquer ces résultats inconsistants. S'agissant de jeunes arbres plantés pour l'expérience, « il faut huit ans pour former correctement un arbre » précise Caroline Gouttesoulard, conseillère technique de la Chambre d’Agriculture de l’Hérault.
« Le sujet de l’agroforesterie est complexe » confirme Juliette Grimaldi, en doctorat au Centre d’Études Spatiales de la BIOsphère de Toulouse (CESBIO). Réalisant sa thèse sur les microclimats en agroforesterie, ses modélisations esquissent ainsi une tendance au tampon thermique des arbres, protégeant les vignes du gel au printemps ou de l’échaudage durant l’été. Mais encore faut-il confirmer statistiquement ces résultats. « L’impact sur le gel est difficile à isoler de l’effet bordure » explique la chercheuse. « Lors des gelées de 2017, on observe un effet de protection des vignes par les arbres. Seules les vignes témoins qui étaient éloignées des arbres ont été touchées par le gel » rapporte Caroline Gouttesoulard, qui a suivi les parcelles expérimentales du domaine de Restinclières.
Pour les pratiques agroécologiques, la recherche présente également, dans l’immédiat moins des résultats définitifs que des pistes restant ouvertes faute d’avoir réellement pu trancher. Comme l’illustre Denis Thiéry, directeur de l’unité Santé et Agroécologie du Vignoble de l’INRA Bordeaux, qui s’enthousiasme de voir le champ des possibles ouverts : « concrètement, il existe plusieurs leviers de biocontrôle présentant un réel potentiel dans la réduction des pesticides : confusion sexuelle, parasitoïdes, bactérie BT, champignons entomopathogènes… » En attendant que les chercheurs aient posé les bases pratiques, et transposables, des nouvelles conduites agroenvironnementales, ils en restent souvent réduits à s’appuyer sur de la bibliographie sans pouvoir passer le cap du conseil pratique.
« L'enherbement ce n'est pas juste de l'herbe ou un couvert qui pousse, c'est une culture de services » pose avec flamboyance Léo Garcia, en thèse à Montpellier Supagro. Effets positifs sur l’activité biologique et structuration des sols, réduction de l’érosion, dégradation des pesticides : l'enherbement a de multiples avantages. Ces effets ne sont cependant pas suffisamment maîtrisés et connus pour être parfaitement théorisés. « Pour la gestion des couverts, il n’y a pas de tactique rigide et fixe. Selon l’année, les règles de décision et les choix doivent évoluer pour maintenir les rendements » botte en touche le chercheur, présentant un schéma décisionnel plus général que pratique.
À la vigne comme dans les laboratoires, la complexité de la biodiversité et de sa gestion n’a pas fini d’interroger et de pousser à l’expérimentation.
* : Présentés en introduction de chaque présentation, les éléments de contexte étaient rapidement