Ce congrès n’est peut-être pas une totale réussite. Mais la démonstration de force que nous avons faite aujourd’hui nous permet d’être optimistes sur la suite » résume avec brio Stéphane Héraud, le président de l’Association Générale de la Production Viticole (AGPV). Réussissant à conclure en quelques minutes les quatre heures de travaux du premier Congrès de la Viticulture. Se tenant ce 6 juillet à Bordeaux, le colloque a été d’autant plus dense qu’il a servi d’opération de sensibilisation, pour ne pas dire lobbying, de la filière auprès commissaire européen à l’Agriculture, Phil Hogan. Qui était « là pour faire des discours, mais aussi pour écouter », comme il le dit lui-même.
Présent depuis la veille à Bordeaux, l’homme politique irlandais aura entendu un même message répété sans un couac par les représentants syndicaux réunis. Qui étaient particulièrement nombreux, le Congrès tenant du rassemblement de la quasi-totalité des pontes viticoles. « On se croirait dans une réunion de famille, on est bien dans l’entre-soi » s’est amusé le député européen Éric Andrieux (circonscription Sud-Ouest). Il n’en fallait pas moins pour porter de nombreux messages aux oreilles du commissaire européen. Pour ne pas dire les marteler.
À défaut de pouvoir capitaliser sur la nomination d’un nouveau gouvernement (voir encadré), ce congrès a opportunément coïncidé avec le début des négociations de la prochaine Politique Agricole Commune (PAC). Phil Hogan devait dès le lendemain participer à un groupe de travail faisant le bilan des contributions publiques sur la prochaine PAC. Visiblement tout ouïe, pour ne pas dire ravi de son séjour, Phil Hogan a permis aux représentants du vignoble de lui présenter leurs multiples attentes. Que l’on peut synthétiser à la préservation des particularités du modèle viticole européen. Égrenées le long des échanges, les performances économiques des vins européens étaient invariablement présentées comme le résultat d’une stratégie de valorisation, portée par l’encadrement réglementaire d’indications géographiques à forte valeur ajoutée.


Ce conservatisme assumé des acquis passe en premier lieu par le refus d’intégrer le schéma de production horizontal de la PAC. Notamment pour préserver le lien au terroir. « Nous sommes fermement attachés à garder les spécificités viticoles. Sans statut spécifique, on prend le risque de tirer vers le bas la qualité de nos produits » prévient Michel Servage, le président des Vignerons d’Indication géographique protégée (VinIGP). Le viticulteur languedocien défend notamment l’obligation de garantir pour une Indication Géographique l’origine à 100 % du vin depuis une aire géographique. Quand pour certaines productions agroalimentaires il suffit de transformer une matière première sur zone pour obtenir l’IG.
De même, la filière se positionne fermement pour conserver son système d’Organisation Commune du Marche Vitivinicole (OCM vin). « Nous ne voulons pas d’aides directes, mais des fonds structurants permettant d’adapter le vignoble et de gagner des parts de marchés » assène Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. Si le maintien de l’OCM vin est acté, le viticulteur languedocien affiche son inquiétude sur l’avenir du Plan National d’Aide (PNA). La réponse du commissaire européen sur la question n’allant pas le rassurer. « Je ne peux m’engager que sur le budget actuel. Je ne peux pas prédire l’avenir dans un moment où nous avons beaucoup d’incertitudes. Notamment, avec la question du niveau des ressources après le Brexit » élude Phil Hogan.


« Il va falloir se battre pour démontrer l’efficacité structurelle de ces aides, afin de les préserver » estime un Jérôme Despey combatif, souhaitant également une amélioration des règles d’éligibilité pour rendre les programmes plus accessibles et efficaces. « Sur notre attachement au PNA, on ne pouvait pas faire mieux. On lui a dit au moins 20 fois en deux jours, je pense qu’il a pu être certain de notre attachement à son maintien. Ses réactions nous font penser qu’il n’y a pas de raisons de remettre en cause ce système » tempère Stéphane Héraud.
Sujet phare, l’assurance récolte se heurte également aux restrictions budgétaires européenne. Via la révision à mi-parcours de la PAC (via le règlement omnibus), « nous avons la possibilité de permettre à des entreprises de s’assurer correctement. Parce qu’elles sont aujourd’hui sur des références difficiles, après une succession de sinistres » incite Bernard Farges, estimant que cette modification n’aurait pas d’impact financier notable. Prônant l’abandon de la moyenne olympique (moyenne de production quinquennale, en retirant les millésimes le moins, et celui le plus, productif), il milite pour ne garder comme référence que la meilleure production des cinq dernières années. « Simplifier les réglementations est une priorité » lui répond Phil Hogan, qui précise immédiatement que « si l’on peut être en principe en faveur de changements, il faut en regarder les implications financières. S’il est possible de faire un changement à des frais limités, pourquoi pas… »


Sur l’assurance récolte, il y a deux sujets distincts analyse Stéphane Héraud. D’une part l’abaissement du seuil de déclenchement de 30 à 20 %, intégré au règlement omnibus par le Parlement, mais avec un impact budgétaire qui le dessert. De l’autre la révision du calcul du rendement de référence, actuellement « une moyenne qui n’a d’olympique que le nom », qui ne coûterait rien mais n’est pas inscrit dans l’omnibus. Pour le viticulteur bordelais, il y a manipulation législative à faire, pour s’assurer que l’assurance récolte soit améliorée sans véto budgétaire.
Un écueil financier sur lequel s’est déjà échoué en 2011 le projet d'observatoire de la prospective économique dédié à la filière vin. Ce qui n’empêche pas Thierry Coste, président du groupe vin du COPA/COGECA, de remettre la demande sur la table. « Nous ne pouvons pas continuer à naviguer à vue sur nos marchés comme nous l’avons fait. Il ya trop d’incertitudes et de volatilité » estime le viticulteur languedocien, réclamant matière grise et fonds pour piloter la filière. Les deux n’étant pas acquis. L’enjeu du budget sera décidément clé dans les discussions de la PAC prévient le député européen Michel Dantin (circonscription Sud-Est). Estimant que la première proposition faite n’est pas acceptable en l’état, il prédit qu’il n’y aura pas de nouvelle PAC avant 2021 ou 2022.


Un combat délicat est également annoncé pour conserver la spécificité des emballages de vin. « L’étiquetage nutritionnel est dans l’air du temps. Nous considérons que le vin ce n’est pas comme la vodka ou la bière » tranche Thomas Montagne, le président des Vignerons Indépendants de France (VIF). Alors que la Commission Européenne laisse un an à la filière pour proposer des éléments de réglementation, le vignoble craint qu’il ne s’agisse d’une façon d’imposer l’étiquetage des ingrédients sur les bouteilles. « Le vin est déjà extrêmement encadré et réglementé. Tout est prévu pour garantir au consommateur de hauts niveaux de qualité et de transparence » martèle le vigneron provençal, qui souligne que les touristes venant à son caveau ne lui ont jamais demandé le détail nutritionnel de ses bouteilles.
Le maintien des spécificités existantes s’applique également aux autorisations de plantation. « Le nouveau dispositif a fait ses preuves. Il doit être conforté. Il doit être amélioré. Il doit être prolongé au-delà de 2030, nous en faisons un passage obligé » pose Stéphane Héraud. Et n’en déplaise au négoce, la production réaffirme unanimement la subsidiarité de sa gestion par les Organismes de Défense et de Gestion (ODG). « Nous les gardons décisionnaires pour que le potentiel viticole soit piloté par les professionnels » renchérit Bernard Farges, le président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées (CNAOC). S’étant mobilisé contre les « vautours charentais », le viticulteur bordelais salue les premiers résultats du trilogue européen sur le texte omnibus de révision de la PAC actuelle. Il semble acquis que les vignobles d’eaux-de-vie de vin soient soumis aux mêmes restrictions à la replantation que les autres vignobles (cliquer ici pour en savoir plus).


Ce Congrès n’a pas été qu’un lieu de demandes à Phil Hogan, des remerciements lui ont été chaleureusement transmis. Comme au sujet de la simplification des procédures de modification des cahiers des charges des vins à Indication Géographique (IG), où la Commission Européenne propose de donner plus de responsabilités décisionnaires aux Etats-Membres. Une initiative que la filière souhaiterait accompagner d’un pas supplémentaire. « Nous demandons un engagement dans les délais de réponse pour pouvoir garantir une capacité d’adaptation aux marchés » glisse Michel Servage.
Autre mesure ayant le bon goût de ne rien coûter, l’appui de la Commission Européenne au déploiement des cépages résistants s’est confirmé durant la visite bordelaise de Phil Hogan. « Nous devons continuer nos efforts pour moderniser le secteur vinicole européen grâce aux nouvelles recherches et à l’innovation. Afin de préparer son avenir et se donner tous les moyens pour exploiter les nouvelles opportunités, surtout quand il s’agit des vins de qualité » estime-t-il, le lendemain d'une fructueuse dégustation de nouveaux cépages. « Le commissaire européen est ouvert aux cépages résistants » traduit Bernard Farges, qui milite pour que les vins AOP puissent intégrer dans leurs cahiers des charges des cépages n’étant pas à 100 % Vitis vinifera. « C’est une opportunité sur laquelle nous devons travailler » annonce le viticulteur bordelais.


Si ce Congrès a permis de réaliser une démonstration de force du collectif*, il amène finalement peu de résultats concrets. L’écoute du Commissaire Européen témoignant d’une réceptivité à défaut de décisions arrêtées. Se montrant partagé, Boris Calmette, le président de la Confédération des Coopératives Vinicoles de France (CCVF) récapitule : « nous sommes rassurés sur le maintien des principes spécifiques, mais inquiets quant au budget. Il faut se mettre en branle pour le maintenir. »
« Nous avons mis une pièce dans la machine, maintenant il faut espérer récupérer le gros lot » conclut Stéphane Héraud.
Goodies : le discours de Phil Hogan à lire ici.
* : « Seul on va plus vite, mais ensemble on va plus haut et plus loin » lâche Stéphane Héraud, qui remporte décidément le prix des punchlines de ce Congrès.
Bruyamment regrettée, l’absence du nouveau ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a été, en partie, compensée par une vidéo de ce dernier. L’élu normand s’est notamment engagé à visiter le vignoble bordelais avant août pour faire oublier son absence. Il a ainsi annoncé son soutien au dispositif d’assurance récolte, et son souhait de la renforcer : « dans le secteur viticole, elle ne couvre que 25 % des exploitants, je considère qu’il est essentiel que cet outil soit utilisé plus largement ». Le ministre évoque également la création d’un dispositif de « prise en charge des aléas économiques, de types assurance du chiffre d’affaires ou outil de stabilisation des revenus ».