Pourquoi aujourd’hui est-il encore nécessaire de traiter la vigne ? » pose Gilles Brianceau, le directeur général du cluster bordelais Inno’Vin, en incipit de la table-ronde qu’il anime ce 29 juin, à l’occasion du premier Biotope Festival (dans la salle des Dominicains de Saint-Emilion). Faussement naïve, cette introduction revient astucieusement aux fondamentaux du débat sur les pesticides viticoles. Maintenant que la filière s’est emparée du sujet, les positions se dessinent en deux grandes familles : les partisans d’une pharmacopée aussi chimique que raisonnée et les adeptes d’une homéopathie aussi alternative qu'indépendante.


Du côté des institutions, on trouve la voie scientifique qui propose une optimisation des pratiques conventionnelles. Une approche qui se base sur le constat que « si en Gironde on ne traite pas les maladies de la vigne, elles attaquent le feuillage, puis les fruits. Et il n’y aurait pas de récolte, ni de vin, quatre années sur cinq. Aujourd’hui, la question de ne pas traiter n’existe pas. Du moins tant qu’il n’y aura pas de cépages résistants au mildiou et à l’oïdium » pose Christophe Chateau, le responsable de la communication au Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB).
Du côté des viticultures alternatives, c’est un tout autre changement de paradigme qui est préconisé. A des degrés divers selon l’interlocuteur en question. « Les produits issus de la pétrochimie ont l’air efficace pour maîtriser les populations de pathogènes. Mais j’ai la certitude qu’ils déstabilisent à moyen et long terme la santé de la plante et la santé humaine (de l’applicateur, du voisin et du consommateur) » affirme le consultant bourguignon Antoine Lepetit de la Bigne, expert en biodynamie.
Estimant que la viticulture biologique revient finalement à une approche de traitement conventionnel sans produits chimiques, Antoine Lepetit de la Bigne défend l’approche plus systémique de la biodynamie. « Si un pathogène se développe à un niveau incompatible avec la qualité et la quantité de ma récolte, je dois chercher à régler le déséquilibre en amont. Plutôt que de taper sur le pathogène et le voir revenir, sous une forme mutée plus ou moins différente » explique-t-il.


Faisant des maladies cryptogamiques un symptôme et non l’origine du problème, les pratiquants de la biodynamie sont souvent vus comme des doux-rêveurs par leurs camarades vignerons. Mais sous des termes ésotériques, on trouve la même philosophie que les approches scientifiques de production intégrée note avec malice le vigneron saint-émilionnais Philippe Bardet. Il souligne cependant que si « les pathogènes d’origine européenne peuvent être résolus par un retour à l’équilibre, ce n’est pas le cas pour ceux arrivés à partir d’autres Vitis. Sans chimie, on ne sait pas faire contre le mildiou, l’oïdium et la flavescence dorée. »
Face à l'apparente impasse contre les maladies cryptogamiques, la filière viticole a cependant une chance : avoir un potentiel génétique lui permettant d’envisager une sortie des pesticides. Les nouveaux cépages tolérants permettent d’imaginer la réduction à peau de chagrin des traitements phytos. « Le problème, c'est ce que l'on fait entre le moment où le miracle des cépages résistants arrive (à un horizon lointain et qui pose problème avec la défense des appellations), et aujourd’hui, avec les problèmes de santé publique des riverains » critique le vigneron en biodynamie Dominique Techer (élu à la Confédération Paysanne). Doutant également de la durabilité des résistances de ces nouvelles variétés, Dominique Techer juge qu’« à un moment donné, il va falloir faire autre chose que de faire semblant d’avoir des solutions. De dire attendez les cépages résistants, en attendant, mourez. »


« Encore une fois, vous prenez un risque, qui existe bien sûr, et pour vous il faut sortir immédiatement du risque. Et c’est le bio et les produits bio, sans cela point de salut. Je pense que si l’on reste sur des postures comme celle-ci, les plaintes de riverains ne se répètent pendant longtemps » lui répond le viticulteur de l’Entre-deux-Mers Bernard Farges (président du CIVB). Plaidant pour une approche plurielle et progressive afin de réduire fortement les consommations de pesticides, voire en sortir. « Nous avons besoin d’avancer très vite. Si l’on doit immédiatement amener tout le vignoble girondin en bio, je pense que l’on ira moins vite que si on l’on veut faire migrer l’ensemble des professionnels sur une utilisation moins forte des pesticides. »
Voyant dans les cépages résistants une solution d’avenir, « on commence à toucher cette solution du doigt » plaide Bernard Farges. Convaincu qu’alors la filière ne sera « plus dans les solutions chimiques ou naturelles, mais bien au-delà des sujets qui nous opposent aujourd’hui. »


« Je suis ravi que l’on trouve des solutions. Par contre, les cépages plus résistants m’inquiètent un peu. On oublie la réflexion sur l’équilibre total. Plutôt que de régler cet équilibre, on fabrique une plante suffisamment forte pour pouvoir vivre dans ce déséquilibre » craint le consultant et vigneron Stéphane Derenoncourt. Prenant garde de n'entrer dans aucune chapelle, il plaide pour une prise de conscience collective et des actions concertées pour arriver à des résultats. « Passer de 7 % de vigne en bio à 8 ou 9 % en trois ans c’est vachement bien. Mais si dans trois ans, ceux qui font n’importe quoi parmi les 93 % [en conventionnel] se mettent à travailler proprement et sérieusement, même s’ils utilisent la lutte chimique, ce ne sont pas des empoisonneurs » lance-t-il, estimant qu'« il faudrait arrêter les guerres de clan et avancer sur des idées qui soient un peu plus universelles ».
C’est un lieu commun inévitable pour tout débat sur les phytos : à un moment où un autre, la question de l’omerta jaillit et les passes d’armes fusent. Ce 29 juin, mot apparu dans la bouche de Dominique Techer. « Comme d’habitude, on va se taire. C’est l’omerta généralisée » a glissé le vigneron de Pomerol durant son intervention au micro.
« Moi, mon métier c’est de faire de la communication, je peux vous garantir qu’il n’y a pas d’omerta sur le sujet » a immédiatement rétorqué Christophe Chateau. Listant les derniers évènements tenus par le CIVB sur le sujet (forum environnemental, conférence de presse, assemblée générale…), il a appelé Dominique Techer « à regarder de nouveau la définition du mot omerta pour vous rendre compte que le sujet n’est pas caché sous le tapis. »
Mais cette intervention n’a pas suffit à clore débat, l’activiste Valérie Murat lui assenant : « oui il y a une omerta. Ce n’est pas en répétant comme des petits enfants qu’il n’y en a pas qu’on la détruit. »