« Plus qu’une pub radio, le slogan "ce Bordeaux c’est quelqu’un" donne l’idée que derrière la marque, il y a des gens qui y travaillent tous les jours » explique Franck Crouzet ce 24 derrière le stand de la marque Baron de l’Estac.
En 1995, la marque Baron de Lestac était modestement lancée, avec 10 000 bouteilles estampillées de l’anagramme de Castel*. Vingt ans plus tard, 12 millions de cols ont été commercialisés en 2015. Et avec 10 millions de cols vendus dans la grande distribution hexagonale (soit 80 % de ses volumes), il s’agit du premier vin de Bordeaux consommé en France. Acquise de longue date, cette première position ne se fait pas sans rivalité souligne Frank Crouzet, le directeur commercial du groupe Castel: « sur les 300 négociants de la place de Bordeaux, en existe-t-il un seul qui n’ait pas sa marque propre de Bordeaux générique ? »
Mais même à une échelle hégémonique, « le deal d’origine reste respecté : être le Bordeaux de référence pour le plus grand nombre de consommateurs » affirme Franck Crouzet. « Nous avons pour objectif d’être ce que le consommateur a en tête quand il pense Bordeaux. Tout l’intérêt de ce travail, c’est de rester au goût du jour. Nous ne visons pas un type de consommateur, mais un ensemble multigénérationnel. »
Si le profil gustatif de Baron de Lestac a évolué, l’étiquette de son vin rouge revendique toujours autant « l’élevage en fûts de chêne ». Et ce dans le plus grand chai à barriques d’Europe (construit en 2001 à Blanquefort, pour une capacité de 50 000 tonneaux). « Nous avons mis au point une bonne recette, le vin est abordable pour l’amateur comme celui qui n’y connaît rien » se flatte Franck Crouzet, qui souligne pour autant « ne revendiquer aucun cépage ou assemblage. Notre seul objectif, c’est que le goût soit le plus régulier possible. »
Pour cela, le groupe Castel Frères met en branle un approvisionnement sollicitant 450 viticulteurs, pour 1 500 hectares de vignes à Bordeaux. Reposant sur un cahier des charges viticoles, cette approche s’appuie sur l’idée de transposer le savoir-faire oenotechnique acquis dans les domaines et châteaux du groupe Castel au vin de marque, ce qui est le message des affiches et slogans publicitaires de baron de Lestac.
Pour séduire un maximum de consommateurs, la marque a l’idée de correspondre à tous les moments de consommation. En allant du petit format de 18,75 cL aux bags-in-box de trois litres, en passant par les magnums. « Même si c’est anecdotique sur nos volumes, c’est un complément de gamme incontournable » explique Franck Crouzet.
Ne mettant commercialement pas tous ses oeufs dans le même panier, la marque a pris ces dernières années son bâton de pèlerin pour consolider et développer sa présence sur les marchés étrangers. Actuellement, l’export ne compte que pour 20 % des volumes vendus par cette marque (ce qui représente quand même 2 millions de cols).
Sur ces nouveaux marchés, la marque a l’ambition de « faire tache d’huile en ouvrant les portes et profitant à l’ensemble » déclare Franck Crouzet, qui pointe déjà des succès sur les marchés chinois, hollandais, japonais, russes… Actuellement, la marque est distribuée dans 60 pays à travers le monde, mais n’abandonne pas pour autant la France. « Il y a encore du travail à faire, et du potentiel de croissance, on est optimiste ! » lance Franck Crouzet, confiant dans l’avenir des Bordeaux de coeur de gamme. Le prix de vente du rouge Baron de l’Estac est de 4-4,5 euros la bouteille, pour le blanc et le rosé, il atteint 4 €/col.
* : « A l’époque, on se compliquait moins la vie pour trouver un nom de marque » plaisante Frank Crouzet. A noter qu’au lancement, il existait des châteaux et autres AOC sous la bannière Baron de l’Estac. Ces déclinaisons ont progressivement été abandonnées au profit des trois couleurs en Bordeaux et un Haut-Médoc (Les Hauts de Lestac).
Baron Philippe de Rothschild : Mouton Cadet, le leader export aux aguets des tendances
« La marque apporte une caution et une valeur ajoutée au produit » affirme Géraud de la Noue, ce 24 juin devant le navire Bélem.
En 1930, le premier millésime de Mouton Cadet marquait en fait la création du concept du second vin d’un cru classé du Médoc. Etant alors le petit vin du château Mouton Rothschild. Le développement rapide de la demande a fait évolué le produit, quittant les AOC Pauillac et Médoc pour s’élargir à l’AOC Bordeaux et atteindre des volumes bien plus conséquents. En 2015, ce sont 12 millions de cols qui ont été commercialisés sous la marque au bélier, dont 70 % à l’export (soit 8,5 millions de cols expédiés). « Ce que nos concurrents nous envient sûrement, ce sont le génie marketing du baron Philippe de Rothschild et l’aura mondiale que nous a apportée la baronne Philippine de Rothschild » estime Géraud de la Noue, le directeur général de Rothschild France Distribution (filiale du groupe Baron Philippe de Rothschild).
Se voulant avant tout accessible en terme gustatif, les vins de la marque se permettent d’évoluer selon les modes et les consommateurs ciblés, à l'instar de l'arrêt du boisage en 2004. Désormais, ce sont les jeunes urbains, de 25-35 ans, qui sont au coeur de la stratégie de Mouton Cadet, ce qui amène au développement de petits formats en verre (de 18,75 cL, actuellement référencé chez Monoprix) pour s’adapter à des repas plus déstructurés et moins posés que ceux de leurs aînés.
Mais cela amène également à jouer la carte des cocktails, comme la recette du Green Cadet qui est indiquée sur la contre-étiquette des bouteilles de sauvignon blanc (vin, sirop de sucre de canne, zeste de citron et glaçons). L'utilisation de capsules à vis accentue encore l'iconoclasme de cette cuvée, dont le but est ouvertement de provoquer l’entrée dans le monde de la marque de jeunes n’ayant pas d’attirance pour le vin. « Certains peuvent dire que l’on est en train de tuer l’image du vin » balaie Géraud de la Noue, « mais au contraire, on lui donne une grande chance pour séduire des consommateurs qui ne seraient jamais venus autrement au vin ».
« Sur tous les marchés, il y a un leader de coeur et un leader de chiffre » affirme Géraud de la Noue, pour qui Mouton Cadet peut clairement revendiquer le titre de leader d’image des vins de marque. Visant la création d’une préférence forte, la stratégie marketing de Mouton Cadet a la particularité de reposer sur communication hors média et de s’être développée sur des partenariats prestigieux, BPR étant devenu le fournisseur officiel du festival de Cannes ou de la Ryder Cup. « Mouton Cadet privilégie le contact direct avec le consommateur. Et là où nous sommes forts, c’est justement le développement de la distribution » ajoute Marie-Louise Schÿler, la directrice de la communication BPR


« L’accessibilité, ce n’est pas uniquement une question de prix. Cela se pose d’abord en terme de diffusion, c’est ce qui crée la notoriété » assène Géraud de la Noue. Il faut reconnaître que Mouton Cadet est particulièrement bien pourvue en la matière, avec des réseaux de distribution dans 150 pays (notamment au Canada, au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne…)
« En terme de gammes, nous cherchons à nous adapter à la typologie des circuits de distribution » pose Géraud de la Noue. Ce qui se traduit par deux gammes : le classique Mouton Cadet, qui a vocation à être largement diffusé par la grande distribution (avec un positionnement de prix de 9,5-10 € pour le rouge et 6,5-7,5 € pour blanc/rosé), et la gamme Réserve, avec une gamme d’AOC de Bordeaux sélectionnée pour une prescription en caviste et CHR (avec des prix allant de 12,5 à 20 €, cette gamme représente 10 % des ventes annuelle de Mouton Cadet, soit 1,2 million de cols).
Quant aux prix « ce n’est pas de la coquetterie marketing. Avec notre cahier des charges, on ne peut pas faire de vins moins chers » se défend Géraud de la Noue. La politique d’approvisionnement de la marque repose sur la contractualisation, avec 450 vignerons partenaires. Soit 1 300 hectares de vigne répartis sur l’ensemble du vignoble bordelais.
InVivo Wine : Cordier, l’outsider aux ambitions de challenger à l'heure de sa relance
Cordier est « une marque qui méritait un réveil rapide, pour partir à la conquête de marchés que le France ne doit pas perdre » affirme Bertrand Girard, aux côtés de Jacky Maria ce 22 juin, sur le belvédère de la Cité du Vin (dont Vinadeis est un mécène bâtisseur).
Après 125 ans d’existence, la marque Cordier prépare discrètement sa renaissance après être tombée sous les radars depuis quelques années. Après les annonces à l’ambition fracassante qui avaient suivi le rachat, en juin 2015, du négociant Cordier et Mestrezat par le groupe coopératif InVivo (78 % des parts), la réflexion a affiné la stratégie annoncée, qui ne doit devenir opérationnelle à partir de la rentrée 2016. Avec la présentation d’un produit fini (de l’assemblage à l’emballage) et le lancement commercial de Cordier (ciblant principalement l’export).
De ce qu’il ressort actuellement, la clé de voûte du Cordier nouveau reste le créneau de la valeur et de l’image. Avec une spécialisation nette dans le premium, ce qui passe par un « repositionnement sur un prix de vente de 9-10 euros en France, de 16-17 dollars aux Etats-Unis, de 190 yuans en Chine, de 1 500-1 600 yens au Japon… » énumère Bertrand Girard, le directeur général d’InVivo Wine (et président du directoire du groupe coopératif languedocien Vinadeis).
Cet objectif est d’autant plus précis qu’il repose sur un constat cinglant : « un Bordeaux générique à 4-5 € n’a pas le potentiel de séduire les consommateurs. Il faut une marque qui porte une belle promesse de produit, avec une lecture plaisir et une compréhension simple » tranche Bertrand Girard. Se basant sur des analyses de marché, InVivo Wine a les consommateurs de 20 à 45 ans en tête, et préférentiellement à l’export. Pour les atteindre, la stratégie se veut moderne et décomplexée. « Notre ambition est de faire redécouvrir Bordeaux. Si on met un produit à la hauteur, ce sera positif pour la notoriété et la valorisation du vignoble » annonce Bertrand Girard. Pour soutenir ce nouveau positionnement, un travail de fond sur la marque est toujours en cours. Les projets de packagings et de slogans resteront secrets jusqu’à la rentrée prochaine.
Les premiers assemblages de la marque ont, en revanche, été finalisés, à partir d’AOC Bordeaux du millésime 2015, précise-t-on chez Cordier. Actuellement, l’approvisionnement sera assuré par une cave coopérative girondine (non dévoilée, mais ayant forcément adhéré à InVivo). « On a eu plus de demandes, et on aurait pu avoir deux à trois adhérents. Mais ce n’était pas notre souhait. Le critère de choix s’est basé sur l’adhésion au projet global et sur la capacité d’approvisionnement » esquisse Jacky Maria, le directeur général de Cordier (également directeur général adjoint de Vinadeis).
Adoptant le cahier des charges défini par Cordier, la cave coopérative en question aurait produit un vin oscillant entre goût du jour et tradition girondine. Mais il n’y aura pas que des bordeaux sous cette marque, comme la nouvelle marque Maison Castel, Cordier serait une bannière pour d’autres appellations de France. « Et on ne s’interdit pas des vins de cépages pour aller sur la marché américain. Ce serait bien d’avoir du chardonnay. Mais pas de chance, on n’en a pas à Bordeaux » glisse Jacky Maria.
Sur la place de Bordeaux, on entend des interrogations polies face aux aspirations de ces nouveaux arrivants (d’autant plus aux origines languedociennes). Mais vu de Cordier, le plan est solide et n’est soumis à aucune pression. « On n’est pas dans une course effrénée au chiffre d’affaires. On se donne le temps, ce sera un effort de cinq à dix ans, avec des objectifs atteignables » relativise Jacky Maria. Quant au positionnement par rapport aux marques existantes, « on n’est pas dans la comparaison. La concurrence du vin est mondiale et pas franco-française » élude Philippe Laquèche, le directeur général de la maison Mestrezat.
A noter qu’à la suite de son rachat par le groupe In Vivo, la maison Cordier et Mestrezat a été scindée en deux entités aux stratégies nettement différenciées : le négoce de grands crus pour Mestrezat et le négoce de vins de marques/petits châteaux pour Cordier. Si la marque Cordier est principalement taillée pour l’export, la grande distribution française est visée par l’activité de distribution des petites propriétés bordelaises. « Notre ambition est redevenir un acteur important de la distribution des petits châteaux » annonce Jacky Maria.
Actuellement, aucune de ces trois marques ne propose de déclinaison en bio, explications.
Visée par des enquêtes sur les résidus de pesticides dans les vins de l’UFC Que Choisir (notamment en 2013), la marque Baron de l’Estac a une position tranchée. « La façon de présenter ces résultats ressemble à une mise en accusation. Pourtant, il n’est pas négatif d’avoir des traces de pesticides dans ses vins. Les phytos sont nécessaires pour soigner la vigne, l’idée c’est d’apporter seulement la dose nécessaire » explique Franck Crouzet. Optant pour un cahier des charges interdisant certains produits, Baron de l’Estac vise « la viticulture raisonnée, plus légitime que la bio » tranche Franck Crouzet.
La question du bio s’est également posée chez Mouton Cadet. Mais a, pour l’instant, été éludée. « Aujourd’hui, on n’arriverait pas à avoir un qualité standard des vins pour la quantité qui serait envisagée » estime Géraud de la Noue. A noter que Mouton Cadet réclame à ses apporteurs des programmes de traitements phytosanitaires sans produits Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques (les fameux CMR).
Quant à Cordier, les hypothèses restent ouvertes tant que la gamme ne sera pas dévoilée dans son intégralité. Rendez-vous en septembre prochain !