n 2013, la société Baron Philippe de Rothschild France Distribution (RFD, dont le seul actionnaire est le groupe Baron Philippe de Rothschild) a réalisé un chiffre dʼaffaires de 91,6 millions dʼeuros, avec 13,3 millions de cols commercialisés (en hausse de 12 % par rapport à l'an passé). Des résultats permis par une équipe commerciale consolidée par de nouveaux recrutements pour Géraud de la Noue, le directeur général de RFD : « depuis 2010 on s'est dit que l'on allait rentrer dans des temps de crises. Au lieu de réduire la voilure, et risquer que le bateau ne redémarre pas quand le vent reprend, nous l'avons augmentée ! »
Les bonnes performances de RFD s'appuient également sur un porte-feuille de 54 marques, qui va de l'incontournable Mouton Cadet aux spiritueux de Campari, en passant par les rosés de Provence et le prosecco italien. Une gamme qui a la force d'aller « de 3 euros à 20 000 euros » souligne Géraud de la Noue, qui mise surtout sur l'adaptation aux spécificités de chaque réseau de distribution. Taillée sur mesure, la gamme de Mouton Cadet en témoigne : pour la grande distribution elle propose une gamme générique déclinée en trois couleurs, pour les cavistes c'est un bordeaux blanc de cépage (sauvignon blanc) et une gamme réserve (AOC Bordeaux, Graves, Saint-Emilion...), pour les restaurateurs la gamme héritage étale les portraits de la famille...
En tout, trois millions de cols de Mouton Cadet sont vendus chaque année en France (dont un tiers en réseaux traditionnels). Mais n'allez pas comparer le centre vinicole de Saint-Laurent du Médoc à une usine. « Nous ne sommes pas de grands industriels, mais une maison familiale de taille moyenne qui fait du vin » vous rétorquerait Géraud de la Noue, qui s'appuie sur les 400 vignerons bordelais rentrés dans le programme de sélection parcellaire de Mouton cadet. Une stratégie d'approvisionnement en raisins et vins qui a permis à la société de limiter à 2 % la hausse du prix de son millésime 2013. Dans cet entretien, Géraud de la Noue revient également sur les réussites des rosés de Provence (« à comparer à celle des rouges de Bordeaux »), l'importance de l'AOC pour une marque française aux visées internationales, ses stratégies par réseaux de distribution...
En nette croissance, les résultats 2013 de RFD dénotent avec le reste du vignoble français. Quelles sont les clés de ce succès ?Géraud de la Noue : Ces résultats 2013 sont d'abord à remettre dans une dynamique de croissance qui dure depuis 8 ans. Ensuite, la première raison de cette croissance, c'est la conjonction de facteurs forts qui a poussé les propriétaires de marques à nous donner les moyens d'investir en marketing dans les marchés. Le deuxième élément clé, c'est que nos actionnaires ont fait un choix fort. Depuis 2010 on s'est dit que l'on allait rentrer dans des temps de crises : de consommation, de fréquentation des établissements et de distribution (de plus en plus orientée vers la promotion). Au lieu de réduire la voilure, et risquer que le bateau ne redémarre pas quand le vent reprend, nous l'avons augmentée. Les effectifs de RFD ont ainsi augmenté de 15 % en deux ans. Et la création de postes s'est faite pour l'essentiel dans l'équipe commerciale, ce qui a permis une meilleur couverture terrain pour faire vivre notre porte-feuille de marques. Le troisième élément est la mise en place de focus. Certes nous avons 54 marques, mais on a appris à mettre le focus sur une marque et un circuit à un moment donné, pour s'assurer que chaque commercial ne réinvente pas la stratégie de l'entreprise.
RFD affiche une croissance non seulement en valeur, mais aussi en volume. Pour gagner des parts de marché, le maintien des prix est-il essentiel ?Les marchés des vins, champagnes et spiritueux ont une croissance faible en volume, mais forte en valeur. C'est un fait, les consommateurs boivent de moins en moins de vins, mais de mieux en mieux. La stabilité des prix en approvisionnement est un enjeu compliqué, le prix du vin est toujours lié à la récolte. Le tout est de savoir quelle est sa capacité à répercuter une hausse à la distribution et au consommateur. Pour le cas de Mouton Cadet, nous sommes moins impactés que d'autres. Depuis des années nous avons une stratégie « Sélection Parcellaire », qui nous permet de travailler directement en amont avec les raisins de vignerons et de moins travailler avec la place de Bordeaux pour l'achat de vrac. Historiquement, on achète les vins plus chers que la place, et on l'assume. Mais cela a l'avantage, sur de petits millésimes comme 2013, de réduire l'écart relatif des prix. Sur Mouton Cadet, il n'y a pas beaucoup de hausse de prix : +2 %, tout juste l'inflation.
On juge souvent que le vignoble français manque de marques fortes. Est-ce que Mouton Cadet pourrait avoir vocation à servir de modèle à la filière ?Je me garderai bien d'être un modèle ou de donner des leçons ! Economiquement nous sommes bien un modèle économique, Mouton Cadet a réussi, dans un univers produit, à créer un fort positionnement de marques. Maintenant, cet état des lieux est né en 1930, du génie du baron Philippe de Rothschild. Quand il a créé Mouton Cadet, il ne devait pas s'imaginait de ce que cela serait 80 ans plus tard. La baronne Philippine de Rothschild l'a repris dans la continuité et l'accélération, ce qui fait c'est que la marque aujourd'hui ce qu'il est. Je ne suis pas sûr qu'on pourrait le recréer maintenant !
Une marque française à vocation mondiale pourrait-elle se passer d'une AOC ? Autrement dit, Mouton Cadet peut-il se passer de Bordeaux ?Je pense que plus on s'éloigne de Bordeaux et plus l'AOC et la marque Baron Philippe de Rothschild (BPR) deviennent nécessaires. Il faut voir que Bordeaux a une signification dans le monde entier. Mais en France, on enlèverait AOC et on utiliserait des cépages non bordelais, je ne suis pas sûr que cela changerait grand chose (indépendamment du bruit médiatique que cela causerait), ça n'impliquerait pas un changement fondamental dans l'intention d'acte d'achat. Actuellement la question de l'AOC ne se pose pas, mais elle pourrait être pertinente pour le rosé, la tendance actuelle de la consommation se porte sur la fraîcheur, les fleurs, le moindre degré d'alcool... Nos amis méditerranéens utilisent des cépages qui ne sont pas inclus dans l'AOC Bordeaux...
Mouton Cadet est une marque mondiale, globale, avec une position marketing constante. Plus on s'éloigne de la France et plus la marque BPR prend de l'importance. En France, l'entrée se fait par la marque et BPR est une caution, mais à l'étranger BPR est une clé, qui reste complètement attachée à Bordeaux.
A en croire les témoignages du dernier film de Jonathan Nossiter (Résistance Naturelle), le système d'AOC serait détourné par de grands groupes industriels. Catégorie à laquelle vous seriez sans nul doute rattachés...Mouton Cadet est la marque de vin la plus diffusée et la plus reconnue en France. Mais pour autant nous sommes beaucoup plus petits que les groupes Constellation, Concha y Toro ou Castel Frères, ceux qui forment le top 3 mondial. Et notre vocation n'a jamais été de devenir le numéro 3. Nous ne sommes pas de grands industriels, mais une maison familiale de taille moyenne qui fait du vin, avec un chiffre d'affaire dont un tiers est réalisé avec des produits tiers. Pour Mouton Cadet, notre chance est notre approche de sélection parcellaire, un système d'approvisionnement repris par les contrats interprofessionnels. Et chaque année, la croissance de notre production en volume est limitée, modérée, de 10 à 15 %.
Comment positionnez-vous Mouton Cadet dans les circuit français de la grande distribution ?Notre rôle est de convaincre les distributeurs qu'il ne sert à rien de casser les prix, il y a d'autres Bordeaux plus accessibles pour ça. La condition pour rentrer du Mouton Cadet est le référencement permanent. Notre autre rôle est de montrer aux distributeurs qu'avoir Mouton Cadet dans leur rayon est un facteur de croissance du chiffre d'affaires. Sachant que l'on se trouve dans un marché où la moitié des acheteurs de vins ne rentre pas dans les rayons et s'arrête à la tête de gondole. Il est donc important pour nous d'être présents durant les grands temps forts. Nous sommes peu présents sur les foires aux vins (où la tendance est au « vin de château »), mais nous pouvons miser sur notre placement premium pour rentrer dans les achats de cadeaux (fêtes de fin d'année, fête des pères...). Nous avons la légitimité pour et réalisons en ce sens des opérations de caissage de bois, de magnums, des étuis...
Pour les réseaux cavistes, nous proposons des opérations d'étuis isothermes pour les blancs et rosés. Plus généralement, dans les circuits traditionnels nous proposons des outils et gammes propres. Par exemple la gamme Mouton Cadet Réserve propose cinq AOC (Bordeaux, Médoc, Saint-Emilion, Sauternes et Graves), ce qui répond aux spécificités du réseau. Pour le caviste c'est valoriser sa connaissance du vin, du terroir, et apporter un conseil. Le consommateur sait bien que dans un magasin de proximité il va payer plus cher. En fait, je ne connais pas un acheteur qui aille chez un caviste pour payer moins cher qu'en GD ! Ce n'est pas le même plaisir, ni le même besoin, pour autant ce peut être le même consommateur mais à des moments de consommation différents
Comment percevez-vous le développement des rosés de Bordeaux en regard de ceux de Provence ?D'abord il faut comparer ce qui est comparable ! Le succès des Bordeaux rouges est à comparer à celui des Provence rosés, et c'est le succès des Provence rouges qui est à comparer à celui des Bordeaux rosés ! En France, on se trouve aujourd'hui avec un modèle dominant du rosé, type Côte de Provence. Il a permis de répondre à des attentes de consommateurs pour des rosés plus frais, plus légers, plus fruités... plus accessibles en somme. Pour la clarté, en Bordeaux la mode de fabrication est plus portée sur la saignée que la pressée (contrairement aux Provence). Et nous n'utilisons pas les mêmes cépages pour ce qui est de la fraîcheur.