uel est le bilan de la CEVI sur le paquet vin dans sa mouture adoptée par la commission agricole du Parlement européen (Comagri) ? Quelles sont les avancées saluées, et au contraire les points à faire évoluer ?
Samuel Masse : Le bilan est clairement nuancé. Il y a eu de vraies avancées dès la proposition de la Commission, comme l’extension des autorisations de replantation à huit ans, la possibilité pour les États membres de financer des arrachages ou encore la possibilité de geler le potentiel de plantation au niveau régional. Ce sont des outils utiles, mais qui ne répondaient pas, à eux seuls, aux besoins de différenciation, de simplification et de compétitivité que portent les Vignerons Indépendants.
Le travail du Parlement, alimenté par le plaidoyer de la CEVI, a permis d’améliorer sensiblement le texte. On a obtenu des avancées importantes : la possibilité de reporter les fonds non utilisés d’une année sur l’autre, l’ouverture de la promotion œnotouristique aux organisations professionnelles, incluant les Vignerons Indépendants, la prolongation des programmes de promotion à l’export et, surtout, la possibilité pour la Commission de créer un schéma de promotion simplifié pour les petits producteurs. On salue aussi les clarifications sur l’étiquetage numérique. En revanche, deux points restent très préoccupants : l’assimilation des Organisations de Producteurs (OP) aux PME pour l’accès aux aides, et l’intégration des mesures de crise dans les programmes sectoriels, qui risque de détourner des budgets pensés pour développer la filière. Les trilogues seront essentiels pour équilibrer le texte.
L’arrachage temporaire reste absent des discussions européennes : est-ce un échec politique pour la filière française qui le réclame depuis des années ? La prolongation des autorisations de replantation suffit-elle comme le défend la Commission ?
Il faut déjà rappeler que l’arrachage temporaire avait été discuté dans le cadre du Groupe de Haut Niveau (GHN), notamment à la demande de la France, mais qu’il n’avait pas été retenu à ce moment-là. Ce n’est donc pas vraiment une surprise de ne pas le retrouver dans la proposition de la Commission ni dans le texte de la Comagri. L’intérêt de cette mesure était clair : offrir une solution flexible, qui permette aux producteurs les plus touchés de s’adapter sans renoncer définitivement à leur potentiel.
Dans les faits, la prolongation des autorisations de replantation à huit ans apporte une forme de flexibilité qui répond, au moins en partie, à cette demande. Ce n’est pas exactement la même chose, mais cela donne aux États membres et aux producteurs une marge de manœuvre supplémentaire. Pour la CEVI, ce qui compte, c’est que des outils existent pour répondre aux situations de crise, sans fragiliser l’avenir des exploitations. De ce point de vue, l’extension à huit ans va dans le bon sens.
Pour les Vignerons Indépendants, la question des Organisations de Producteurs (OP) semble cruciale pour l’accès aux fonds communautaires : mais on entend aussi qu’une évolution européenne pourrait ne pas avoir d’effet sur les pratiques françaises. Qu’en est-il ?
La question des OP dépasse largement le seul cadre de la viticulture en France. Ce que nous observons, c’est une tendance européenne à renforcer les OP dans toutes les filières agricoles, au nom de la concentration et de la massification de la production. C’est un choix politique assumé par la Commission depuis plusieurs réformes, et qui fonctionne peut-être pour certains secteurs, mais qui n’est pas adapté à la viticulture. La force du vin européen, c’est la diversité des modèles, pas l’uniformisation.
Nous n’avons aucun problème avec les OP, mais le risque, si cette logique est poussée trop loin, est de marginaliser les structures non concentrées — en clair, les exploitations familiales comme celles des Vignerons Indépendants. C’est déjà une réalité dans les fruits et légumes. Si le cadre européen évolue dans ce sens, il aura forcément un impact sur les règles nationales, y compris en France. C’est précisément pour cela que la CEVI demande l’introduction de garde-fous clairs : nous voulons garantir que l’accès aux aides reste ouvert à tous les modèles, et pas seulement à ceux qui sont organisés en OP.
Pour les vignerons français, la question du financement européen de l’arrachage définitif reste posée : est-ce mal emmanché alors que 35 000 hectares de vignes seraient candidates ?
C’est un sujet très présent, et la CEVI a une position constante : les fonds sectoriels doivent rester dédiés à des mesures de développement (l’investissement, la promotion, la restructuration…) et non à des mesures de destruction du potentiel productif. Mobiliser les fonds sectoriels pour financer l’arrachage serait un très mauvais signal, surtout dans un contexte où les petites exploitations ont besoin de perspectives.
En revanche, nous avons demandé que la réserve de crise puisse être activée pour financer de l’arrachage dans les États membres qui en ont exprimé le besoin, comme la France. Pour l’instant, la Commission n’a pas donné de réponse positive, mais rien n’est arrêté. Ce genre d’arbitrage peut évoluer jusqu’au dernier moment, et nous continuons de pousser pour obtenir une solution qui reste cohérente avec l’esprit du programme sectoriel.
Autre dossier européen, le groupe de travail Fiscalis doit plancher sur le guichet unique des droits d’accises pour les vins vendus aux consommateurs en Europe : comment arriver à une concrétisation rapide ?
Le guichet unique est un dossier que la CEVI porte depuis plus de dix ans, parce que c’est une simplification indispensable pour les Vignerons Indépendants qui vendent en direct à des consommateurs européens. Le groupe Fiscalis travaille sérieusement, et une première architecture du système a été présentée, mais on manque aujourd’hui d’un engagement politique clair de la Commission. La réponse du 3 novembre à la question écrite du député européen Éric Sargiacomo ne donne aucun calendrier ni orientation ferme.
Pour nous, il faut accélérer. La demande du terrain est très forte, et nos entreprises ont besoin d’un marché intérieur qui fonctionne réellement. La CEVI va donc continuer à pousser auprès de la Commission et du Conseil pour que le dispositif soit mis en œuvre. Et nous serons vigilants à ce que les acteurs qui portent la vente directe que sont les Vignerons Indépendants soient pleinement associés aux prochaines étapes.
Concernant la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC), la Commission défend sa proposition de ne plus conserver d’Organisation Commune du Marché vin (OCM vin) spécifique en donnant les clés aux États-Membres : est-ce que cela vous rassure ou vous inquiète ?
C’est une source d’inquiétude très forte. La réforme proposée entraînerait la disparition de l’enveloppe spécifique pour le vin, de sérieux risques de renationalisation de la PAC, et surtout une baisse globale d’environ 20 % du budget agricole. La fusion des piliers dans un grand fonds commun, partagé avec d’autres politiques européennes, ferait perdre à l’agriculture la lisibilité, la stabilité et les garanties dont elle a besoin.
Pour les Vignerons Indépendants, cela représenterait un recul net : moins de moyens dédiés, plus d’incertitude, et un risque accru de déséquilibre entre opérateurs, notamment au profit des Organisations de Producteurs. La CEVI demande à la Commission de revoir sa copie, de préserver la spécificité du secteur vitivinicole et de maintenir des outils adaptés à un modèle qui repose sur la diversité des structures et des territoires.




