lors que les ventes de boissons alcoolisées ont reculé de 1,8 % en valeur pour s’établir à 68 milliards d’euros sur un an, leurs homologues non alcoolisés ont bondi de 5,1%, atteignant 97 milliards €, note Circana. Résultat : les BRSA, boissons « fonctionnelles » et autres alternatives sans ou faiblement alcoolisées représentent désormais près de 60% du marché européen des boissons.
De nouvelles attentes fortesL’évolution des modes de vie et des rituels de consommation redéfinit l’univers des boissons. Selon Circana, les consommateurs ont troqué l’alcool contre des boissons « plus rafraîchissantes » (55%), « plus saines avec des ingrédients à base de plantes » et au « meilleur goût » (27%), « meilleures pour la santé » (22%) et « davantage en phase avec leur style de vie actuel » (21%). Ces critères les incitent à privilégier une large palette de boissons – fonctionnelles, protéinées, kombucha etc – qui cochent toutes ces cases. « Le message pour les entreprises est clair : la croissance ne se construit plus en reproduisant le même modèle. Elle ne viendra pas d’une approche disruptive à court terme, mais d’une réinvention stratégique », analyse Ananda Roy, expert en réflexion stratégique chez Circana.
Une approche plus transversaleUne véritable mue est en cours, qui oblige à repenser en profondeur la conception, le conditionnement, le positionnement prix, la distribution et la relation au consommateur des boissons alcoolisée, insiste Circana. « Brouiller les frontières entre les différentes catégories de boissons s’impose pour générer de la croissance. Les marques d’alcool se diversifient en lançant des alternatives sans ou faiblement alcoolisées pour séduire une clientèle plus jeune et soucieuse de sa santé, tandis que les BRSA investissent l’univers traditionnel de l’alcool. Cette évolution ouvre de nouvelles occasions de consommation et aident les entreprises à se démarquer sur un marché saturé », ajoute l’analyste. Une affirmation validée par le fait que selon l’étude, 55% des Européens s’attendent désormais à ce que les bars servent systématiquement de la bière sans alcool, par exemple.
L'influence de la technologie aux USACette mutation profonde traduit une quête de saveurs nouvelles et d’expériences originales, tout en exprimant une volonté de modération – un mouvement qui dépasse, on le sait, largement les frontières européennes. Aux Etats-Unis, les chercheurs de l’Université de Harvard avancent des explications complémentaires. Un récent sondage Gallup a confirmé que la consommation d’alcool y a atteint son niveau le plus bas depuis le début de ces sondages en 1939 : seuls 54% des adultes américains affirment boire de l’alcool, contre 67% en 2022. Cette régression importante est attribuée à la montée du mouvement « sober curious » qui s’exprime notamment à travers le « Dry January » et le « Sober October ». Mais les experts de Harvard pointent aussi d’autres phénomènes : l’influence des montres connectées et des médicaments antidiabétiques de type Ozempic. « Les moniteurs d’activité physique n’enregistrent pas uniquement les pas effectués dans la journée, mais aussi les effets physiologiques d’une soirée de consommation d’alcool : rythme cardiaque plus élevé, tension artérielle accrue et sommeil perturbé », rappelle Marisa Silveri, professeure agrégée de psychiatrie à l’Ecole de Médecine de Harvard. Reprenant l’argument selon lequel « aucun niveau de consommation d’alcool n’est sûr », elle estime que la sophistication croissante de la technologie connectée contribue à la désaffection des Américains envers l’alcool.
Autre hypothèse avancée : l’usage croissant des médicaments antidiabétiques, souvent prescrits contre l’obésité. Les experts soulignent « leur efficacité remarquable » pour réduire la consommation d’alcool. A tel point que « des essais sont à l’étude pour évaluer l’efficacité des médicaments GLP-1 dans le traitement des troubles liés à la consommation d’alcool », explique Joji Suzuki, également professeur agrégé de psychiatrie à Harvard. « Plusieurs entreprises ciblent désormais le traitement de ces troubles à l’aide de médicaments GLP-1 dans l’objectif d’obtenir leur agrément par la FDA ». Même en dehors de cette utilisation, quand on sait l’explosion de l’obésité aux Etats-Unis – jusqu’à 70% de la population adulte étant potentiellement concerné – l’impact sur la consommation d’alcool risque d’être considérable.
Les chercheurs notent enfin la multiplication d’alternatives attractives aux boissons alcoolisées, de même que l’effet de rééquilibrage après la surconsommation d’alcool pendant la pandémie, provoquant un « sursaut » parmi les consommateurs. Plus qu’un simple virage de consommation, c’est une nouvelle culture du goût et de la conscience qui s’installe, en Europe comme aux Etats-Unis, où chaque verre redéfinit notre façon de boire.




