a rumeur enflait depuis des mois à Bordeaux : on allait voir ce qu’on allait boire, un grand cru classé en 1855 allait lancer son vin désalcoolisé. Une première désormais officialisée par le Figaro : le château Sigalas Rabaud (17 hectares de premier grand cru classé en 1855 à Sauternes) va lancer début 2026 un vin liquoreux désalcoolisé en partenariat avec Moderato (spécialiste du vin désalcoolisé s’appuyant avec Vivadour sur le Chai Sobre). Un pari osé, voire une innovation polarisante ? Pas pour Laure de Lambert Compeyrot, à la direction du cru classé familial, qui y voit un nouvel élargissement de sa gamme afin de diversifier ses produits et donc leurs moments de consommation. Pour elle, le vin désalcoolisé n’est pas clivant (« c’est du vin, il y a eu fermentation alcoolique ») et on ne peut garder un temple sans le laisser vivre (« la tradition est vivante, il faut la mettre au goût du jour »), ce qui lui a permis de passer de 14 à 17 ha en production : « il faut innover pour ne pas perdre le savoir-faire du sauternes. Si on n’en vend plus, on n’en produira plus » résume-t-elle.
Défendant elle-même un équilibre organoleptique des vins de Sauternes reposant sur le triptyque sucrosité-acidité-alcool, la copropriétaire assume de changer de paradigme tout en revendiquant le respect de ses racines. « Tout en gardant notre ADN, notre identité, il est important de rester dans notre siècle, dans le monde d’aujourd’hui, à l’écoute des consommateurs » explique Laure de Lambert Compeyrot, qui revendique une « démarche de curiosité : que peut-on faire dire à notre terroir ? » Une approche innovante qui ne vient pas de nulle part. Arrivée au domaine familial en 2006 avant d’en prendre la direction en 2013, la vigneronne a étoffé la sage gamme initiale (un grand vin et un second vin, "le Lieutenant de Sigalas"), en lançant en 2009 un blanc sec ("la demoiselle de Sigalas"), puis en 2013 un 100 % sémillon ("la sémillante"), en 2016 un liquoreux sans sulfites ajoutés ("le 5"), en 2019 des effervescents ("Marquise" puis "Fine Bulle"), en 2022 un vin blanc haut de gamme (sous l’étiquette château Sigalas Rabaud) et désormais, un sans alcool co-brandé avec Moderato (l’étiquette est encore en finalisation).
Processus de fabrication
Techniquement, « le challenge était de trouver l’équilibre entre aromatique, acidité, sucrosité, amertume… » résume Sébastien Thomas, le co-fondateur de Moderato, qui indique avoir passé des mois d’essais et de prototypes pour « trouver l’équilibre gardant l’identité du produit et permettant de retrouver son empreinte ». Soit un vin de base liquoreux distillé sous vide à basse température (30 à 35°C) pour atteindre moins de 0,1°.alc et se concentrant autour de 80 mg/l de sucres résiduels. Ce qui est une concentration somme classique pour un Sauternes, mais pose ici des questions de stabilisation. Conservé à froid, ce vin liquoreux désalcoolisé est filtré avant ajout de dicarbonate de diméthyle (DMDC ou E242). En cours de finalisation pour passer à une échelle test semi-industrielle, ce vin désalcoolisé Sigalas Rabaud x Moderato sera d’abord produit en petites quantités, quelque milliers de cols, pour un prix de vente valorisé, 29,99 € la bouteille.
« C’est un prix premium, mais juste. Nous avons la volonté commune de créer un produit qui exprime la qualité du vin d’origine sans être décorrélé d’un prix de marché » explique Sébastien Thomas. Pour Laure de Lambert Compeyrot, le principal point est que « surtout, le produit tient la promesse. On retrouve notre typicité, c’est nous, avec un nez expressif (rhubarbe, poire…) et une bouche fraiche (sans être lourde). » De quoi répondre aux nouvelles demandes du marché espère la vigneronne indépendante, habituée des salons ouverts au grand public : « on y a un lien direct avec les consommateurs. On y écoute et entend ce que demandent les jeunes. »


De quoi pousser à la diversification, comme le pratique la présidente de la route des vins de Graves et de Sauternes dans son activité touristique (30 % de son chiffre d’affaires avec l’accueil de visiteurs, individuels et en groupe, des chambres d’hôtes…) et ses gammes (désormais neuf cuvées). Pour son liquoreux désalcoolisé, « l’aventure commence. Il faut que ça se transforme en succès commercial » résume Laure de Lambert Compeyrot. Assurant la commercialisation, Moderato est dans « le cœur de sa raison d’être : unir deux univers qui se complètent. Nous avons besoin de vins de très grande qualité pour faire de bons vins sans alcool » rapporte Sébastien Thomas, qui assume d’être ouvert à de nouveaux partenariats de prestige, et de « chercher des vins emblématiques pour donner ses lettres de noblesse à la catégorie » du vin sans alcool.