C’est un vin blanc pétillant désalcoolisé créé pour un artiste américain qui souhaite une bouteille à son effigie », raconte Romain Laher, sans dévoiler l’identité de la star. Le manager opérationnel du Chai Sobre nous montre fièrement une bouteille pourvue d’une capsule à vis, qui renferme la précieuse maquette ayant remporté un appel d’offres parmi trente échantillons concurrents.
À Vic-Fezensac, dans le Gers, dans le laboratoire accolé à son bureau, il élabore des maquettes de vin désalcoolisé pour ses clients, avant de les reproduire à grande échelle grâce à sa nouvelle unité de désalcoolisation.
« Le site de Vic-Fezensac était fermé depuis 2020, indique-t-il. En 2022, il a été choisi pour accueillir ce projet, compte tenu de sa capacité de cuverie inox. » Le projet – un investissement d’1,2 million d’euros réalisé par le groupe coopératif Vivadour – a bénéficié du savoir-faire technique de Moderato, à la fois partenaire et client du Chai Sobre.
La première production remonte au 17 avril dernier. « Nous avons désalcoolisé 61 hl de rosé pour un client suisse, en vue de créer une boisson aromatisée à base de vin désalcoolisé (BAVBD) », relate le manager.
Romain Laher devant l'unité de désalcoolisation (photo A. Bimont)
Première étape : Romain Laher définit un cahier des charges avec son client. Une fois le devis signé, il se lance dans la réalisation de maquettes, c’est-à -dire différents échantillons répondant aux exigences du client, parmi lesquelles ce dernier fera son choix. Pour cela, le manager dispose de l’unité de microdistillation sous vide du laboratoire Oenopole de Gascogne – filiale de Vivadour –, à Gondrin, dont la capacité de désalcoolisation se limite à 3 litres de vin. Ensuite, en fonction du cahier des charges, il ajoute de la gomme arabique, du MCR, des tanins, des extraits aromatiques de bois ou bien des arômes naturels.
Tout dépend de la nature du produit. Romain Laher élabore soit des vins désalcoolisés, soit des boissons aromatisées à base de vin désalcoolisé. Dans le premier cas, interdiction d’ajouter d’autres arômes que ceux du vin initial. Dans ce second cas, il faut être créatif. Fleur de sureau, poire, litchi, poivre de Timut, romarin… Ce doctorant en chimie des arômes et parfums manipule une large palette dans la réalisation de ses maquettes. « Je travaille avec au minimum dix arômes pour une BAVBD, sans limite maximale. Tout dépend de l’objectif. Si le client le demande, je peux créer un univers autour de la framboise en l’associant avec d’autres arômes afin de retrouver la finesse et la complexité du vin. » Comptez environ trois semaines avant de pouvoir déguster vos maquettes.
Une fois la maquette choisie, la production à grande échelle peut débuter. Direction l’unité de désalcoolisation fournie par Centec, un fabricant allemand. Ce 26 juin, elle est à l’arrêt. « Ça ressemble un peu à une usine à gaz », plaisante Romain Laher. Devant nous, deux colonnes de distillations sous vide grimpent à 8 m de haut. En fait, elles sont reliées et ne forment qu’un. « Nous avons deux colonnes uniquement pour éviter d’en avoir une seule de 16 mètres de haut. » L’appareil mesure 5 m de large et occupe une pièce à part entière. Son débit : 3 000 l/h. « Une seule personne peut la faire tourner, et au besoin, elle peut tourner en 3x8. »
Dans le chai attenant, des cuves en inox défilent devant nous, 20 000 hl de cuverie en tout. « C’est bien plus qu’il n’en faut, indique Romain Laher. On se sert uniquement des cuves de 270 hl, qui correspondent au volume maximum que l’on peut désalcooliser en une journée. Les sept cuves de gauche contiennent les vins de base, tandis que les sept de droite reçoivent les vins désalcoolisés. Et en cas de besoin, nous disposons d’autres cuves encore. »
Romain Laher détaille le processus. « Le vin arrive dans une première enceinte où sont éliminés les gaz dissous à basse pression. En parallèle, on chauffe de l’eau à 50 °C à l’aide d’un groupe froid réversible, dans une cuve située à l’extérieur. Cette eau apportera l’énergie nécessaire à l’évaporation de l’alcool. En abaissant la pression entre 35 et 50 mbar dans l’unité, l’alcool s’évapore entre 24 et 30 °C. À la sortie de la seconde colonne, nous récupérons l’alcool condensé à 85 % minimum. Quant aux arômes du vin, ils sont récupérés et réinjectés dans le produit désalcoolisé. »
À l’extérieur, une canalisation transporte l’alcool vers deux cuves épalées que les Douanes peuvent contrôler. « Actuellement, on stocke 58 hl d’alcool à 85 % », précise-t-il en inspectant la jauge. Cet alcool alimente les brandys du Club de Marques, filiale de Vivadour. « Au maximum, on peut en stocker 700 hl. »
Les vins désalcoolisés sont quant à eux sulfités à 30 mg/l de SO2 libre et stockés à 2 °C dans des cuves inertées au CO2 avant l’aromatisation, le cas échéant. « Tous les transferts se font sous azote. Dans l’idéal, les produits partent le lendemain vers le prestataire d’embouteillage et au maximum dans les trois à quatre jours. On n’a aucune perte de produit, ni aucun déchet : le vin rentre au chai, et du vin désalcoolisé et un spiritueux en ressortent. »
Côté expédition, là encore, deux options. « Soit le vin désalcoolisé part chez le client pour y être stocké, ce que je déconseille afin d’éviter les problèmes microbiologiques, affirme Romain Laher. Soit il est dirigé vers l’embouteilleur. On travaille souvent avec la Maison Roy, en Charente, qui possède une bonne expérience de l’embouteillage de jus de fruits et qui est habituée à stabiliser les produits au dicarbonate de diméthyle (DMDC) ou en les pasteurisant. C’est au choix du client. »
Depuis, 1 200 hl supplémentaires ont été désalcoolisés. « On espère atteindre les 10 000 hl d’ici la fin de l’année 2025 et, à terme, produire 80 000 hl par an. » Seul prérequis pour le ticket d’entrée : avoir au moins 60 hl de vin à désalcooliser. De quoi intéresser négociants et vignerons, petits et grands.
La création des maquettes – désalcoolisation des 3 litres de vin, préparation de l’échantillon (gomme arabique, MCR…) et aromatisation si nécessaire – relève d’un tarif forfaitaire fixé à 820 € HT pour huit maquettes au maximum.
La production à l’échelle industrielle, elle, bénéficie de tarifs dégressifs. « Pour une désalcoolisation totale d’un volume entre 60 et 100 hl, le forfait est de 3 000 € HT, indique Romain Laher. Entre 100 hl et 250 hl, comptez 26 €/hl, et entre 250 et 500 hl, 22 €/hl. Au-delà , on n’a pas de limite de volume : on adapte le prix. »
En plus du prix de la prestation, il faut tenir compte de la perte de volume. En effet, lorsqu’il livre 100 hl de vin à 12 % vol., le client ne récupère que 85 hl de vin désalcoolisé environ. Les 15 hl d’alcool à 85 % vol. qui ont été extraits restent la propriété du Chai Sobre.
Et pour une désalcoolisation partielle, comptez un surcoût de 10 %. « On ajuste le tarif car en désalcoolisant partiellement, on ne récupère pas tout l’alcool », justifie Romain Laher.