es chiffres en témoignent, les procédures collectives se multiplient dans un vignoble français en crise. Le signe de difficultés économiques croissantes dans la filière vin, mais aussi une voie pour restructurer l’activité et la pérenniser. Qu’il s’agisse d’un placement en sauvegarde ou d’un redressement judiciaire, « la procédure collective n’est pas la réponse à une mauvaise gestion, c’est la reconnaissance du besoin d’être protégé » pointe l’avocat bordelais Clément Germain, qui regrette qu’« aujourd'hui les procédures collectives ont un côté un peu infamant. D'ailleurs on parle souvent d'un dépôt de bilan, alors que ce n’est pas une fermeture d’activité mais une déclaration de difficultés pour être protégé par le tribunal. On a des outils juridiques qui permettent, par le biais du tribunal, de geler le passif et de restructurer la dette. » Mais encore faut-il que les vignerons n’arrivant pas à joindre les deux bouts aient connaissance de ces outils et s’en saisissent avant qu’il ne soit trop tard. « Le viticulteur ne doit pas se replier sur lui-même quand il a des difficultés. Il doit au contraire essayer d'échanger et être informé sur les solutions qu'on lui offre » souligne maître Clément Germain.
Sauvegarde qui peut
« Je n’avais aucune notion des procédures collectives, ni même qu’il en existait des préventives » reconnait Rémy Grassa, le codirigeant du domaine Tariquet (AOC Armagnac et IGP Côtes de Gascogne, Gers), qui est sous sauvegarde judiciaire depuis janvier dernier. « J’ai beaucoup appréhendé ma première visite au tribunal de commerce » témoigne le vigneron gascon. Y étant retourné ce vendredi 3 octobre pour faire le point pendant la période d’observation (et demander une classe des parties affectées*), Rémy Grassa rapporte des signaux encourageants « sur l'activité du domaine et en particulier son tiroir-caisse, puisque c’est le nerf de la guerre. Notre trésorerie tient bien parce que l’on réalise nos objectifs d'économie. On tient à peu près au niveau de nos ventes. On a quelques plus grosses difficultés à l'export étant donné l'actualité. »


Pour économiser, Tariquet a réduit de 11 % son vignoble avec l’arrachage de 100 hectares et arrêt de 36 ha de fermage. Ciblant les parcelles les plus anciennes et les cépages les moins stratégiques pour gagner en rentabilité, le domaine constate une augmentation de son rendement moyen sur le peu généreux millésime 2025 : « en termes de coûts de production, on économise 1 million € » rapporte Rémy Grassa. Cette rationalisation revient à « sortir d’une zone de confort » pour « se recentrer sur l’essentiel et plus le superflu » résume Armin Grassa, codirigeant du domaine familial, pour qui « on reste performant sur le moment tout en s’inscrivant dans la robustesse, puisqu'il faut absorber plusieurs chocs en même temps. Dans un avenir immédiat, la raison économique va gouverner le monde viticole. »
Marge en avant
Ce que confirme Bertrand-Gabriel Vigouroux, PDG de la maison Georges Vigouroux (AOC Cahors, Lot), en redressement depuis l’été 2024. « Le monde économique est rentré dans la course à la marge. Aujourd'hui, un grand vin, c'est un vin qui fait gagner de l'argent à son client, son distributeur » pointe le vigneron cadurcien, pour qui « pendant des années, on n'a pas été des vendeurs de vin, on nous a acheté le vin. Aujourd'hui, il faut le vendre. Ce n'est pas tout à fait la même chose. » Relevant une « période de retournement rapide » sur les marchés, Bertrand-Gabriel Vigouroux rappelle que le vignoble n’a aucune agilité pour s’adapter. D’où l’intérêt d’une procédure de redressement : « une pause financière pour poser le problème » et appliquer de « sévères corrections pour s’ajuster en gardant les surfaces les plus qualitatives, adossées à des marques qui ont de la valeur ». Ce qui passe pour lui par des arrêts de fermage et de l’arrachage, pour une réduction de 50 % de ses surfaces, de 150 à 75 ha.
S’il répète ne pas regretter l’ouverture de son redressement judiciaire, Bertrand-Gabriel Vigouroux reconnait que « passer en procédure quand on est dirigeant, c’est douloureux. On n’est pas profilés pour ça, on apprend sur le tas. » Concrètement, la procédure collective permet de « reprendre du souffle » témoigne le vigneron et restaurant, notant que « la tête dans le guidon, on l'a quand même. Parce que la charge de travail que nécessite une procédure est considérable sur le plan administratif. On a donc un travail supplémentaire. »


En pratique, maître Clément Germain souligne qu’« une procédure de sauvegarde permet de bénéficier d'un cadre qui permet de chercher des solutions, d'adapter son exploitation et d'arrêter d'avoir tout le temps un regard porté sur ses créanciers et sur l'inquiétude de ne pas pouvoir payer tout le monde. » Une spirale qui mine le moral et empêche de se projeter. « À un moment donné, on est pris dans ces accélérations qui sont violentes que la procédure collective amène un sas de respiration qui est extrêmement utile » abonde Rémy Grassa, qui note que si un plan de sauvegarde fait au départ sortir par le bas (« on coupe des coûts »), il impose de se projeter par le haut (pour ne pas « abîmer le potentiel futur et les éléments patrimoniaux qui apporteront la rentabilité de demain »). L’objectif étant de « rebondir dans une filière dans laquelle on croit. Le vin a de l’avenir ! »
Misant sur l’innovation, le domaine Tariquet travaille de nouveaux produits, comme des vins rouges plus légers avec des macérations courtes de pinot noir ou des vins blancs aux degrés alcooliques réduits par des fermentation partielles. Mais la filière vin est une industrie lourde prévient Armin Grassa : « nous n’avons pas d’agilité. Il nous faut au minimum entre 18 mois et 3 ans pour avoir un retour des consommateurs sur une innovation. »


Cherchant à trouver et suivre l’air du temps, Bertrand-Gabriel Vigouroux fait l’analyse d’« un monde fragmenté sur le plan commercial » avec des offres à développer pour « réenchanter le client » avec des vins de malbec plus accessibles, de gastronomie, clairs voire frais… Ainsi que désalcoolisés, même s’il reconnaît qu’il a dû se faire violence pour s’y lancer. Mais le constat est sans appel pour le vigneron de Cahors : « le vin traverse une tempête, un krach. Je trouve que la presse ne relaie pas suffisamment le fait que la viticulture subit un krach mondial. Il y a un effondrement de toute la valeur due à une saturation des marchés. Quand on voit un bordeaux à 1,30 €, ça ne vaut plus rien. Nos actifs ne valent plus grand-chose »
« C’est un krach parce que c’est arrivé avec une vitesse et un cumul d’évènements où l’on prenait les coups les uns à la suite des autres » confirme Rémy Grassa, qui voit dans la sauvegarde une opportunité pour sortir de crise, même si cela se fait « dans la douleur de la décision et de l’opérationnel. On cumule le travail du quotidien et le poids de la procédure. C’est lourd et ça demande énormément d’énergie. C’est un vrai investissement. » Mais c’est « un outil de saine gestion » poursuit Armin Grassa, estimant qu’il faut considérer la sauvegarde « comme un investissement pour l’avenir, permettant de remettre les compteurs à zéro pour repartir sainement et ressortir robuste ». Pour le domaine Tariquet, « la prochaine audience aura pour vocation d'analyser le plan de remboursement » indique Clément Germain, l’avocat du domaine Tariquet, témoignant que l’anticipation permet de conserver des marges de manœuvre financière.
* : « Un point important pour nous était de demander au juge commissaire la possibilité de bénéficier du dispositif des classes de partie affectées » indique Rémy Grassa, afin de permettre un remboursement de la dette qui soit différencié selon les opérateurs, et de donner la priorité aux fournisseurs locaux afin de préserver ces entreprises mises sous tension par effet domino. « Le dispositif permet de traiter les créanciers selon les classes différentes et d’accélérer les remboursements pour les fournisseurs locaux qui sont stratégiques pour l’avenir » précise maître Clément Germain.
Si la rentrée en procédure de sauvegarde est brutale, Armin et Rémy Grassa n'ont aucun regret : au contraire. Photo : Domaine de Tariquet.