i les vignes en friche sont scientifiquement responsables d’une contamination exacerbée à la maladie de quarantaine qu’est la flavescence dorée*, ce lien de cause à effet n’est pas validé pour le mildiou malgré les nombreux témoignages de vignerons allant dans ce sens. Et y voyant souvent une évidence. « Concernant les maladies aériennes, très peu d'études ont, à ce jour, quantifié l’impact des vignes en friche sur le développement des épidémies » indiquait l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe) dans sa contribution d’expert aux travaux sénatoriaux sur la proposition de loi créant une contravention de 1 500 € pour les propriétaires de vignes laissées en friche.
D’après l’INRAe, on peut citer cependant les études des chambres d’Agriculture des Pays de la Loire en 2021 et la Gironde en 2024 qui ont suivi les symptômes du mildiou « dans un contexte avec des friches multiples et de surface plus importantes » et « ont décrit l’effet de la présence de parcelles non-cultivées sur l’état sanitaire de parcelles environnantes jusqu’à 150 mètres ». Pour aller plus loin et combler ces lacunes académiques, une thèse est actuellement menée à l’INRAe de Bordeaux (Unité Mixte de Recherche Santé et Agroécologie du Vignoble et Unité Mixte Technologique dédiée à la Santé des Ecosystèmes Viticoles Economes en intraNts : UMR SAVE et UMT SEVEN) par le doctorant Olivier Nefti, financé par l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV).


Sur la campagne 2024, un millésime à la pression mildiou particulièrement forte, une étude exploratoire a pu être menée pour cette thèse sur des parcelles de vignes cultivées entourant une friche de 50 ares en AOC Graves au château d’Arche (grand cru classé en 1855 de Sauternes). Mesurant « la dispersion du pathogène depuis les friches vers les parcelles cultivées » dans l’air avec « l’aide de capteurs de spores installés dans les parcelles », l’INRAe rapporte que « la production de spores totale générée au cœur de la friche était 9 à 12 fois supérieure à celle des parcelles traitées à proximité. Dans la parcelle traitée directement adjacente, une augmentation de la pression en inoculum a été enregistrée en bordure de la friche, certainement liée au transport de spores depuis cette friche, mais à des distances qui ne dépassent pas 50 mètres. »
Prudence donc face à ces premiers résultats, dont l’analyse rigoureuse « ne permet pas de généraliser le rôle des friches dans la propagation du mildiou à des échelles spatiales et temporelles plus larges » soulignent les chercheurs, relevant tout au plus qu’avec les résultats des études 2020 et 2024 des chambres d’agriculture, ces résultats compilés « renforcent l’hypothèse d’un impact substantiel des friches sur les dynamiques épidémiques de mildiou, tout en soulignant la nécessité de confirmer ces observations ». Pour « quantifier avec précision la zone d’influence des friches, en fonction de leur surface, de leur proximité avec les parcelles cultivées et de leur évolution épidémique au cours de la saison », l’INRAe souligne la nécessité de nouveaux essais à plus grande échelle, avec un suivi sur plusieurs millésimes et un cadre expérimental robuste.
Résultats à compléter, mais pas en 2025
Car actuellement, « ces travaux sont préliminaires, et nécessitent d’être reconduits, ce qui n’a pas été possible cette année pour des raisons organisationnelles » résume auprès de Vitisphere le doctorant Olivier Nefti. Le projet n’ayant pas abouti pour réaliser une expérimentation en 2025 avec la chambre d’agriculture de la Gironde, les Organismes de Défense et de Gestion (ODG) de Blaye & Blaye Côtes de Bordeaux et des Côtes-de-Bourg. Au sein des deux ODG, on confirme que le projet de suivi de parcelles cultivées voisines de friche a été évoquée, mais cela aurait créé un paradoxe entre l’injonction à l’arrachage des friches et le maintien de celles testées pour respecter le protocole. « Il n’y a pas d’intérêt à bousiller des morceaux de l’AOC pour la recherche. Ou alors, il faut rémunérer les viticulteurs, mais il n’y avait pas de fonds » entend-on à Bourg. Pourtant, « des experts d’assurance se disputent sur l’effet ou non des friches sur la pression mildiou. Il faudrait une zone dédiée à la recherche. Mais on n’a pas trouvé de solutions pour combattre les friches à l’échelle du territoire tout en gardant des parcelles pour les tests » dit-on à Blaye.
« Si nous étions en contact au départ, ils ont finalement refusé de mettre en place des essais chez eux cette année, par cohérence sur le message porté à leurs adhérents. Les ODG de Blaye et Côtes de Bourg ont mis en place une politique très ambitieuse pour ne plus avoir de friches sur leurs territoires » explique Benoît Laurent, ingénieur IFV à l’UMT SEVEN, qui pointe qu’actuellement, les premiers résultats et travaux « sont préliminaires et imparfaits et qu’en l’état ils ne peuvent être communiqués fautes de robustesses scientifiques et du fort risque de fausses interprétations ».


Actuellement, « les résultats confirment que dans une friche il y a beaucoup plus d’inoculum que dans les parcelles traitées. Mais il reste à savoir si l’inoculum se disperse suffisamment pour avoir impact » résume Mathieu Arroyo, le directeur technique du château d’Arche (75 ha de vignes en production, dont 60 ha en Sauternes). « Je me toujours posé la question de l’impact d’une friche sur l’inoculum des vignes cultivées. Il n’y a aucune preuve tangible, mais dans l’inconscient collectif on se dit touché par les vignes abandonnées qui apportent plus de pression » rapporte l’œnologue qui, voulant en avoir le cœur net, a mis à disposition une parcelle de 0,5 ha de vignes en appellation Graves à arracher se trouvant au milieu d’un îlot de vignes de merlot en production. « On a joué le jeu scientifique, on s’est auto-embêté sur l’un des millésimes les plus sous pression. Avec le merlot, on ne pouvait pas imaginer pire » rapporte Mathieu Arroyo, qui a pu voir l’influence de ces vignes en friche sur les parcelles à proximité : les symptômes apparaissant le plus selon le sens des vents dominants. Au final, s’il y a eu beaucoup de symptômes, les traitements** ont permis de réduire à zéro les pertes.
Si dans la filière bordelaise on cible souvent les vignes en friche comme des sources de pression exacerbée du mildiou, il faut attendre des résultats scientifiquement éprouvés pour l’affirmer indique Éric Chantelot, le référent phytosanitaire de l’IFV : « on ne remet pas en cause le ressenti des vignerons, mais on reste prudent en tant qu’institut d’expérimentation. Nous avons pris en compte cette impression et sous l’impulsion du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) nous cherchons des éléments pour confirmer ou infirmer un tel effet. » Sachant que « ce n’est pas parce qu’il y a plus de spores dans l’environnement qu’un effet est évident dans un contexte où il y a déjà une forte pression du mildiou. Ce n’est pas forcément parce qu’il y a dix fois plus de spores qu’il y a dix fois plus de pression de la maladie. À partir du moment où le mildiou est déclenché par des contaminations primaires, l’environnement global fait que des spores sont relargués. Quand les œufs sont mûrs, le mildiou est déjà dans l’environnement » analyse Éric Chantelot.
* : Concernant la flavescence dorée, l’INRAe indique précisément que « nos collègues de l’Université de Turin ont montré que les vignes non cultivées peuvent constituer des réservoirs de cicadelles vectrices S. titanus. En réalisant des expériences de marquages puis captures, ils ont mis en évidence que les cicadelles présentes en abondance sur les repousses de vignes issues d’anciennes friches viticoles, sont capables de migrer vers des parcelles cultivées situées à proximité (Lessio et al. 2014). La grande majorité des insectes se déplacent dans les 30 mètres aux abords de la friche, mais certains sont retrouvés dans les parcelles jusqu’à 300 m de distance. Cette capacité des adultes ailés à recoloniser les parcelles cultivées depuis les friches viticoles adjacentes, après les 3 traitements insecticides des parcelles, a également été montrée par nos collègues de l’IFV sur un site près de Cahors (Petit et al. 2022). Si des pieds infectés sont présents dans ces parcelles, alors les cicadelles migrantes risquent de propager le phytoplasme, rendant la lutte obligatoire par arrachages et traitements peu opérante. Les vignes non cultivées peuvent également directement constituer des réservoirs de phytoplasmes dans les zones contaminées. En échantillonnant les vignes ensauvagées en bordure de parcelles infectées nous avons montré qu’elles sont porteuses de phytoplasmes à 35% et hébergent des populations importantes de cicadelles infectées (Eveillard et al. 2016; Bentejac et al. 2019). Or ces lianes infectées, souvent asymptomatiques, échappent à la surveillance et sont rarement éliminées. »
** : Le château d’Arche ayant stoppé sa conversion bio en 2024, il a basculé sur des traitements phytos conventionnels, mais est resté HVE et s’est privé de traitement classés Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques.