’ANSES vient de publier en juin son expertise sur "les impacts socio-économiques de la limitation ou du retrait des produits phytosanitaires à base de cuivre en agriculture", qui conclut notamment que « les stratégies de diminution de la dose autorisée à 2kg/ha/an (sans possibilité de lissage) » ne fonctionneraient « sans perte de rendement et avec des surcoûts maîtrisés » que pour quelques cultures bio (comme la pomme de terre), mais pas « pour toutes les cultures étudiées », comme la vigne dans la lutte contre le mildiou. Est-ce bien la conclusion de l’étude, partagée par les services de l’ANSES ?
Brice Laurent : La direction sciences sociales, économie et société de l’ANSES a coordonné ce travail d’expertise mené par un groupe d’experts qui a regardé les impacts d’un scénario demi-dose de cuivre et zéro cuivre sur des filières emblématiques de l’usage du cuivre, dont la vigne. L’expertise montre qu’il y a des implications assez fortes des scénarios de réduction du cuivre et encore plus en cas d'élimination, notamment sur les rendements. Parce que quand on regarde les alternatives disponibles, on n'arrive pas aux mêmes au même type de résultats.
Ce qui est important, et nos experts ont vraiment insisté sur ce fait, c’est qu’il s’agit d’une analyse de substitution à court-terme et dans les conditions actuelles de production. Le message est en gros que si l’on ne change rien aux conditions actuelles de production, si on regarde ce qui est disponible à l'instant t, effectivement, il y a des impacts notamment économiques qui sont importants. Le message des experts n’est pas tellement de dire qu’il est impossible de se passer du cuivre. C’est plutôt de dire que si l’on veut limiter l'usage du cuivre, alors il faut vraiment réfléchir au développement d'alternatives, qui ne sont pas encore complètement disponibles, qui sont coûteuses. Peut-être faut-il réfléchir à des approches beaucoup plus systémiques en termes d'organisation de la production, de combinaison d'alternatives. On n'est pas du tout dans une situation où il y aurait une solution miracle que l'on pourrait mobiliser très facilement.
Cette étude de l’ANSES conclut en effet à « la nécessité d’analyser l’option de substitution culture par culture » et à maintenir « les efforts en matière de développement (et leur financement) » privilégiant « les solutions à forte efficacité afin de lever certains freins à l’adoption des alternatives », car sinon des filières pourraient « être tentées par une déconversion, ce qui irait à l’encontre de la dynamique du secteur et des objectifs de développement de l’agriculture biologique fixés au niveau national et européen ».
Brice Laurent : Il y a déjà de la R&D qui se fait, il y a déjà des projets expérimentaux. Les experts n’ont pas dit qu'il n’y avait rien. C'est justement parce qu’il y a déjà des initiatives qui sont prises qu’il y a une invitation justement à se dire qu’il est possible d'aller plus loin. Peut-être est-ce possible de travailler encore plus. Il est sûr que ça demande un accompagnement des agriculteurs, des investissements et un travail de la puissance publique si on veut aller dans une trajectoire de réduction du cuivre.
Depuis 2025, le cuivre est classé substance candidate à la substitution : quelles sont les alternatives envisageables pour l’ANSES ?
Legrand Saint Cyr : Le groupe d'experts a analysé des combinaisons d'alternatives au lieu d’une substitution du cuivre alternative par alternative. Parmi l'ensemble des alternatives qui ont été considérées, il y a bien entendu les cépages résistants, les produits de biocontrôle et les méthodes physiques, comme Vititunnel, qui sont des méthodes assez prometteuses pour la protection des vignobles, mais il y a quelques contraintes à leur utilisation sur le court terme, ce qu'a souligné le groupe de travail. Il faut un temps de replantation pour les cépages résistants. Les méthodes physiques, comme le Vititunnel, sont très coûteuses, elles nécessiteraient donc des investissements assez conséquents. Pour les biocontrôles, ils sont à chaque fois combinés avec d'autres alternatives dans les scénarios analysés par le groupe de travail et, malgré cela, ils ne permettent pas d’atteindre un niveau de protection équivalent par rapport au cuivre. Pour résumer, l’expertise ne permet pas d’identifier une alternative pour remplacer le cuivre. Elle souligne la nécessité d’avoir une vision plus globale et plus systémique pour rendre possible la substitution du cuivre.
Brice Laurent : Il y a des signaux qui montrent qu’il y a des choses qui peuvent être prometteuses, mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour les développer, pour les rendre vraiment utilisables par les agriculteurs. Il y a sans doute beaucoup de choses à apprendre de ce côté-là.
Dans ce contexte, quel est le détail des 34 décisions d’AMM sur le cuivre délivrées par l’ANSES en juillet 2025, en même temps que la publication de cette étude ?
Brice Laurent : Ce n'est pas un hasard du calendrier. Comme c'est un sujet très compliqué sur lequel il y avait beaucoup d'AMM et des enjeux très forts, on a fait en sorte de regarder vraiment l'ensemble du dossier.
Bertrand Bitaud : Il n’y a pas de hasard, les décisions d’AMM ont été prises avec l’éclairage du rapport. Après un travail de plusieurs années, nous avons pris 34 décisions d’AMM sur le cuivre, dont 28 renouvellements et 6 demandes de nouvelles AMM, que nous avons transmises au directeur général de l’ANSES pour éclairer sa décision. Il y a 50 % de décisions favorables et 50 % de décisions défavorables. 31 AMM concernent la vigne. C’était un travail à 360° pour faire un bilan sur un enjeu important. Ces décisions sont prises individuellement. On regarde le contenu de chaque dossier. Ce n'est pas parce qu’un produit semble similaire à un autre qui est passé qu’il sera validé. C'est vraiment la constitution du dossier, les études fournies, les usages revendiqués qui sont analysés, usage par usage, produit par produit. Ce qui peut expliquer certaines différences sur des produits paraissant équivalents. Je ne pourrai pas répondre sur des cas précis d’évaluation scientifique qui dépendent d’une autre direction, dont la direction de décision des AMM est complétement indépendante.
Dans le vignoble bio, on s’inquiète du non-renouvellement des formulations de cuivre en poudre et on ne comprend pas la raison avancée de protection de l’applicateur alors que d’autres poudres sont autorisées.
Bertrand Bitaud : Pour l'heure, sur les poudres mouillables il n’y a pas de volonté systématique de supprimer ces usages. C'est vraiment le dossier qui compte, avec l'évaluation du risque pour l’opérateur, les microorganismes du sol et les organismes aquatiques… Que ce soit une poudre ou pas. Il y a un peu plus de risque d'exposition avec ces substances qui peuvent peut-être entraîner des difficultés plus importantes pour être conformes et autorisées.
Globalement, combien d’AMM sont recalées pour la vigne et quelles usages évoluent, notamment en termes de Zone de Non Traitement (ZNT) ?
Bertrand Bitaud : Sur 31 AMM concernées par l’usage de la vigne, 50 % ne sont pas/plus autorisées. Ce sont les usages de ces produits non-autorisés qui vont disparaître, par contre, il n’y a pas d’usage qui va devenir orphelin. C’est important à préciser : il n’y a pas d’usage en vigne sans solution cuivre. Tous les usages restent pourvus, avec au moins un produit autorisé. Le seul usage orphelin concerne le houblon dans cette vague de décision. Nous avons mis des ZNT et des dispositifs végétalisés permanents puisqu’il y a des soucis de dérive et de ruissellement, selon les cultures. Chaque fois que l'on prend une décision maintenant, on a quasiment toujours des ZNT qui s’ajoutent et qui peuvent être plus ou moins grandes en fonction du dossier soumis et de de la nécessité de réduire les contaminations des parcelles adjacentes.
En réduisant de 50 % la palette des solutions de cuivre disponibles en viticulture, l’ANSES semble diminuer fortement la palette d’outils à disposition des vignerons, notamment bio.
Bertrand Bitaud : C’est relativement important effectivement, mais ce n’est pas non plus complétement orthogonal à ce qui peut se passer pour d'autres substances actives. À chaque fois qu'il y a un renouvellement de l’approbation d’une substance active, on a des critères de plus en plus exigeant, du fait de la réglementation, et donc des usages des produits qui ne vont pas être renouvelés. Dans le cadre du cuivre, il faut savoir que le précédent renouvellement d’AMM n’avait pu avoir lieu en 2012, au moment du transfert à l’ANSES des décisions de la DGAL (Direction générale de l'alimentation au sein du ministère de l’Agriculture). Ayant été reconduites et non renouvelées, les AMM du cuivre avaient quasiment 15 ans. Ce n'est pas étonnant qu’il y ait un peu plus de non-renouvellement des AMM qu’habituellement, parce qu’il y a eu un saut très important sur les conditions d’utilisation.
À partir de quand les nouvelles homologations et non-homologations pour les cuivres en viticulture sont-elles applicables ?
Bertrand Bitaud : Pour les décisions elles sont applicables dès signature. Il est à noter que dans le cas de retrait d’AMM des délais de grâce ont été accordés (6 mois à la vente et 18 mois à l’utilisation à partir de la date de signature le 15/07/2025).
D’autres homologations de produits à base de cuivre sont en cours en Italie comme pays rapporteur. Combien d’AMM cela concerne-t-il et quand ces décisions seront-elles appliquées pour la France ? Est-ce qu’il pourrait y avoir une distorsion entre les cas des AMM étudiées par la France et proposées par l’Italie ?
Bertrand Bitaud : Il y a 22 produits dont le dossier de renouvellement de l’AMM est en cours avec l’Italie comme état membre rapporteur. Nous n’avons aucune visibilité sur le calendrier italien et donc aucune non plus sur la suite côté français.
Pour les AMM homologuées en France, est-ce qu’il y a bien une réduction globale des doses autorisées, des Distances de Sécurité vis-à-vis des Personnes Présentes et des Riverains (DSPPR) minimums de 10 mètres minimum et des Zones de Non-Traitement (ZNT) et Dispositifs Végétalisés Permanents (DVP) de 20 m pour les cours d’eau ?
Bertrand Bitaud : Il faut se référer à chaque décision pour connaitre le détail, mais il y a bien des doses qui peuvent être réduites à 4kg/ha ou moins en fonction de la dose revendiquée dans le dossier, des distances de sécurité pour les riverains de 10 mètres et une ZNT et des DVP de 20 mètres pour protéger les cours d’eau. Cela concerne les produits professionnels. Pour les produits amateurs une ZNT aquatique de 5 mètres est imposée. En termes d’usages, il y a 24 usages autorisés sur 56 revendiqués (43 %). Par contre, en termes de nombre de produits on a 7 produits autorisés pour 20 produits refusés. Cela peut s’interpréter comme les produits maintenus regroupant beaucoup d’usages vignes.
L’étude socio-économique de l’ANSES souligne également une « asymétrie de la dépendance au cuivre entre les productions biologiques et les productions conventionnelles », du « moins tant que les fongicides de synthèse resteront disponibles et diversifiés sur le marché ». Ces réductions d’usage par la non-reconduction ou la restriction d'usage d’AMM vont-elles créer de nouvelles contraintes incohérentes avec les politiques publiques de développement de la bio ?
Brice Laurent : De nouvelles conditions d’utilisation sont introduites sans que la possibilité d’usage en vigne disparaisse. Notre rapport montre aussi que les implications de la réduction d’usage du cuivre sont plus fortes en bio qu'en conventionnel. Ce qui n’est pas surprenant parce qu’en conventionnel il y a des alternatives chimiques qui ne sont pas disponibles pour les produits bio. Cela confirme que si l’on veut se lancer dans une stratégie de réduction de la dépendance au cuivre, alors il faut soutenir les agriculteurs et en particulier les bio, parce que ce sont eux qui dépendent le plus du cuivre.
Les effets toxiques du cuivre sont remis en cause dans le vignoble bio, qui défend une molécule naturelle pour un traitement préventif, « pas ou très peu absorbé par la plante, qui ne migre pas dans les sols ne créant pas de contamination des rivières et des nappes phréatiques ». Quelle est la réponse scientifique de l’ANSES sur ce point ?
Bertrand Bitaud : De nombreuses analyses ont mis en évidence la présence de cuivre dans les sols et dans les eaux de surface et souterraines, et parfois à des taux très élevés, comme l’indique la fiche de phytopharmacovigilance du cuivre. Ce n’est pas parce qu’une substance est naturelle qu’elle n’est pas toxique. De nombreux poisons sont d’origine naturelle. Pour tous les produits, d’origine naturelle ou pas, il y a une évaluation du risque et des critères qui doivent être respectés. C'est vraiment là-dessus que qu'on travaille. En fonction des conclusions de cette évaluation, on va proposer une autorisation ou un retrait d'autorisation au directeur général de de l'Anses, on est vraiment sur une utilisation sûre des produits, c'est notre boussole.
Legrand Saint Cyr : Un récent rapport de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) regroupe l’ensemble des informations sur la toxicité du cuivre sur les sols viticoles.
Quelles sont les prochaines étapes pour le cuivre dans le vignoble ? Il y a une réévaluation européenne de son usage en cours, comme l’autorisation délivrée en 2018 expire en décembre 2025. Dans son dernier rapport, le groupe d'experts pour le conseil technique sur la production biologique (EGTOP) estime peu probable que la réévaluation soit achevée d’ici là…
Bertrand Bitaud : Les substances actives sont revues de façon périodique en fonction de leur statut. Puisqu'elle a un profil toxique et persistant, le cuivre est une substance active candidate à substitution qui n’est approuvée que pour 7 ans. On est sur la fin de la période d'approbation de la substance active et l'évaluation pour une possible ré-approbation est faite au niveau européen par un État membre, qui est l'Italie. D'après les dernières nouvelles, l'Italie n'a pas encore finalisé son rapport. Il est fort probable cette approbation soit prolongée d'un an ou deux pour permettre de façon sereine la fin du travail d'évaluation de cette substance active, qui conduira à un renouvellement ou à un non-renouvellement en fonction des conclusions et du vote des États membres.
"À chaque fois qu'il y a un renouvellement de l’approbation d’une substance active, on a des critères de plus en plus exigeant, du fait de la réglementation, et donc des usages des produits qui ne vont pas être renouvelé" explique Bertrand Bitaud. Photo : Anses, Frédérique Toulet.
"Si l’on veut se lancer dans une stratégie de réduction de la dépendance au cuivre, alors il faut soutenir les agriculteurs et en particulier les bio, parce que ce sont eux qui dépendent le plus du cuivre" analyse Brice Laurent. Photo : Anses, Marc Chesneau.