Dans le cadre du projet Microvarior, Évelyne Aguera, ingénieur d’études à l’Inrae de Pech Rouge, à Gruissan, dans l’Aude, et Cécile Neuvéglise, chercheuse à l’Inrae de Montpellier, ont tenté de déterminer si les traitements phytosanitaires modifient le microbiote (ensemble des micro-organismes) présent à la surface des baies de raisin.
Sur les millésimes 2021 et 2022, elles ont récolté 12 kg de raisins, les uns traités et les autres non, de quatre variétés résistantes (floréal et G5 en blanc, artaban et G14 en rouge), au domaine de Pech Rouge. « Les vignes protégées ont reçu six traitements à base de cuivre, de soufre et d’un stimulateur de défenses naturelles ; les autres, rien », a détaillé Évelyne Aguera. Les chercheuses ont analysé le microbiote présent sur les raisins avant fermentation. « Les champignons filamenteux [des moisissures, ndlr] étaient largement majoritaires dans toutes les modalités, représentant plus de 95 % des espèces présentes dans certains échantillons, tandis que les levures fermentaires étaient très minoritaires », a rapporté Cécile Neuvéglise.
Malgré cela, trois jours après l’encuvage des raisins dans des fermenteurs de 1 litre, les levures fermentaires étaient devenues très largement majoritaires. Mais il ne s’agissait là que d’espèces autres que Saccharomyces cerevisiae : des Hanseniaspora, des Metschnikowia, des Lachancea et des Starmerella. Certaines fermentations n’ont pas atteint leur terme, faute de S. cerevisiae dans les fermenteurs concernés. « Nous n’avons pas relié cela aux traitements », ont précisé les chercheuses, mais à l’extrême rareté de S. cerevisiae à la surface des raisins, combinée à la petite taille des lots. Quant à l’effet des traitements, ils semblent avoir, en début de fermentation, favorisé Metschnikowia au détriment d’Hanseniaspora.
Maîtresse de conférences à l’université de Montpellier, Audrey Bloem a présenté la thèse de Julie Aragno visant à évaluer les capacités bioprotectrices des Metschnikowia vis-à-vis des bactéries Gluconobacter oxydans et des Brett, responsables respectivement de la piqûre acétique et du caractère phénolé des vins.
Julie Aragno a testé 46 Metschnikowia, dont 39 appartenant à l’espèce Metschnikowia pulcherrima, déjà utilisée en bioprotection. Elle a placé ces différentes souches en présence de l’un ou l’autre des deux micro-organismes d’altération, puis observé le résultat.
« 90 % des souches testées ont ralenti la croissance des bactéries acétiques par rapport au témoin sans bioprotection, a rapporté Audrey Bloem. Certaines Metschnikowia ont même totalement inhibé G. oxydans, quand d’autres n’ont eu aucun effet. » Concernant Brettanomyces, 70 % des souches de Metschnikowia ont retardé sa croissance. Les autres ne se sont pas avérées efficaces. « Ces deux résultats confirment que la bioprotection assurée par Metschnikowia dépend de la souche », a souligné la chercheuse. La suite de ses travaux laisse entendre que cet effet dépend aussi du moût lui-même.
En effet, après cette première série d’essais sur moût synthétique, Julie Aragno en a réalisé d’autres sur un moût naturel de chardonnay. Cette fois, elle n’a testé que deux souches de Metschnikowia en présence de G. oxydans ou de Brett, et dans le moût à 16 °C ou à 20 °C. « À 16 °C, la croissance de G. oxydans a été bien plus inhibée qu’à 20 °C », a indiqué Audrey Bloem. En revanche, aucune des deux souches utilisées n’a réussi à inhiber Brett, alors même qu’elles avaient fait preuve de cette aptitude dans le moût synthétique. Les micro-organismes sont décidément des créatures bien capricieuses !
En suivant la libération de CO2 par les 46 souches de Metschnikowia ensemencées dans le moût synthétique, Julie Aragno a remarqué que les M. pulcherrima ont de meilleures capacités fermentaires. Elles produisent jusqu’à 50 g/l d’éthanol (6,4 % vol.), quand les autres espèces de Metschnikowia s’arrêtent en moyenne autour de 15 g/l (1,9 % vol.). De plus, au cours de cet essai, toutes les M. pulcherrima se sont montrées compatibles avec la production de vins marchands. « Elles produisent très peu d’acide acétique, parfois même moins que S. cerevisiae », a assuré Audrey Bloem. Et elles enrichissant les vins en esters d’acétate et en glycérol.
Gabriela Pinto Miguel, de l’université de Montpellier (UMR Sciences pour l’œnologie), mène quant à elle des recherches visant à s’assurer « que la résistance naturelle aux maladies fongiques des nouvelles variétés ne favorise pas l’installation d’espèces susceptibles d’altérer les vins issus de fermentations spontanées ». Afin de l’établir, elle a ensemencé des moûts de merlot pasteurisés, les uns avec le microbiote prélevé à la surface de baies d’artaban, les autres avec le microbiote de baies de carignan. Et elle a pris pour témoins des moûts vinifiés à l’aide d’une S. cerevisiae du commerce. Une fois les fermentations terminées, elle a analysé la composition des vins en arômes fermentaires. Ces tests n’ont pas révélé de catastrophe dans le cas des micro-organismes issus de l’artaban. Les cépages résistants peuvent donc fort bien être vinifiés en fermentation spontanée. D’autant plus que c’est à présent un fait connu : ces fermentations sont avant tout l’œuvre des levures qui subsistent dans les chais.
Les recherches de Paola Fournier, de l’Inrae (UMR Save), portent sur des bactéries et des champignons susceptibles de contrôler le mildiou. Au printemps 2023, elle a prélevé des échantillons de jeunes feuilles de vigne et de sol, dans sept paires de parcelles du Médoc, du Libournais, de l’Entre-Deux-Mers et de Buzet. « J’ai constitué ces paires en choisissant des parcelles plantées des mêmes cépages, a-t-elle expliqué, conduites de la même manière et distantes de moins de 10 km, mais l’une peu sensible au mildiou quand l’autre subit des attaques plus importantes. » En analysant ces échantillons, la chercheuse a remarqué que plusieurs espèces de champignons et de bactéries s’avéraient bien plus abondantes dans les parcelles peu touchées par le mildiou que dans les autres. Dans les premières, sur les feuilles de vigne, elle a identifié des levures déjà utilisées comme agent de bioprotection des fruits lors de leur conservation. « Dans le sol, nous avons aussi trouvé des bactéries déjà décrites comme des antagonistes des phytopathogènes de la vigne, comme des Streptomyces, des Bacillus ou des Pseudomonas. » Ces micro-organismes sont testés en laboratoire en vue de développer de nouvelles solutions de biocontrôle. Paola Fournier a également remarqué que le microbiote du sol se révélait être un très bon indicateur de la pression mildiou, « meilleur que celui lié aux feuilles ». Ce qui ouvre la voie à une amélioration de la surveillance et de la prédiction de cette maladie. Botrytis cinerea, par exemple, fait partie des champignons plus abondants dans les parcelles sensibles au mildiou.